Par Dayo Yussuf
Avec une taille de plus d'un mètre quatre-vingt, un physique sculpté, une démarche assurée et un sourire qui respire la spontanéité, Abel Kai a l'habitude de faire tourner les têtes où qu'il aille.
C'est lorsqu'il parle que la vulnérabilité d'Abel se fait sentir, l'empêchant d'articuler des pensées emprisonnées dans un lourd bégaiement.
La célébrité d'Abel - il est un mannequin de mode très demandé au Kenya - a fait de lui un ambassadeur de la sensibilisation et de l'acceptation du bégaiement en tant que trouble de la parole.
"À l'école primaire, on m'a demandé de lire un paragraphe à haute voix. J'ai eu du mal à sortir les mots", raconte à TRT Afrika Abel, né en 1996 dans les hauts plateaux de la banlieue de Nairobi.
"Mon bégaiement s'est aggravé après cette expérience, et le sentiment de frustration m'a accablé. Je bégayais tellement que j'ai fini par fondre en larmes".
Le bégaiement est un trouble de la parole qui affecte la fluidité, provoquant des interruptions dans le flux de la parole. Ces interruptions peuvent prendre la forme de répétitions, de prolongations ou de blocages lorsque la personne a du mal à produire certains sons ou mots.
Pour Abel, qui était alors un jeune enfant cherchant à s'intégrer, se réconcilier avec son bégaiement persistant était comme un coup de poing dans le ventre chaque fois qu'il essayait de parler.
Le pire, c'était le regard de ses amis lorsqu'ils entendaient son bégaiement.
"Mes camarades de classe se sont même éloignés de moi, pensant que mon bégaiement était contagieux. Je voulais me défendre, expliquer que ce n'était pas une infection qu'ils pouvaient attraper, mais chaque fois que j'essayais de parler, je bégayais encore plus", se souvient Abel.
Des facteurs déclenchants multiples
Bien que la cause exacte du bégaiement ne soit pas claire, on pense qu'il résulte de facteurs génétiques, neurologiques et environnementaux.
Cet état pathologique déconcerte encore les experts de la santé, car il n'y a toujours pas d'explication sur la manière de le traiter, bien que l'on sache que la thérapie par la parole aide à gérer l'état à long terme.
Il arrive également que le bégaiement persistant disparaisse de lui-même une fois que la personne a atteint un certain âge.
Abel pense que l'ignorance de cette maladie fait partie du problème. Il affirme que les gens remarquent un bégaiement mais comprennent rarement le poids émotionnel qui l'accompagne.
"Le bégaiement est comme un iceberg : on n'en voit que la partie émergée, alors que les difficultés plus importantes et plus complexes restent cachées sous la surface. Au-delà des difficultés d'élocution visibles se cache un monde de doutes, de stigmatisation et de perte de confiance en soi", explique-t-il.
Le fait d'être un visage connu représentant des marques et des créateurs de mode contribue-t-il à atténuer l'attention indésirable dont son bégaiement fait l'objet ?
"En grandissant, j'ai réalisé que mon bégaiement n'était pas quelque chose que je pouvais souhaiter voire disparaître - il faisait partie de moi, au lieu d'y résister. J'ai choisi de l'accepter", explique Abel à TRT Afrika.
"Cette acceptation n'a pas été facile, mais elle m'a appris la résilience et la conscience de soi. J'ai appris à naviguer dans différentes situations sociales, en me préparant mentalement aux conversations et en développant des stratégies pour rester calme."
Faible estime de soi
Au-delà de l'aspect physique, le bégaiement peut avoir un impact sur l'estime de soi et les interactions sociales.
Et ce, malgré la confirmation scientifique que, contrairement aux idées reçues, le bégaiement n'est pas lié à l'intelligence ou à la nervosité.
"La frustration d'avoir du mal à dire mon nom, l'humiliation des moqueries à l'école et la peur constante de parler en public ont été mes batailles silencieuses. Mais je n'ai pas laissé cela me définir. Je suis sortie major de ma promotion et j'ai fait carrière dans la mode", relate Abel.
Le modèle kenyan souligne que le principal défi consiste à gérer l'impact émotionnel du bégaiement.
« La colère et l'anxiété aggravent la situation », dit Abel.
"Lorsque je suis nerveux ou frustré, mon bégaiement s'intensifie, ce qui rend la communication encore plus difficile. Avec le temps, je me suis entraîné à rester calme même dans les situations difficiles, car ma réaction influence la conversation et la façon dont les gens me perçoivent", explique-t-il.
Par rapport à il y a vingt ans, beaucoup plus de gens sont aujourd'hui conscients de la souffrance émotionnelle à laquelle une personne est confrontée lorsqu'elle est victime de railleries à cause de son bégaiement.
Abel dit qu'il continue à se battre par le biais de l'activisme et de la sensibilisation afin de rallier davantage de personnes à sa cause.
"Je rencontre encore de l'hostilité et de l'impatience de la part de personnes qui ne comprennent pas mon combat. Il y a eu des moments où je me suis senti invisible, réduit au silence non seulement par mon discours, mais aussi par le jugement des autres", explique-t-il.
"Alors, au lieu d'être amer, je choisis d'éduquer. Je choisis d'être patient. Et surtout, je choisis de me définir au-delà de mon bégaiement".
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