Par Pauline Odhiambo
Des millions d'enfants à travers le monde grandissent peut-être en acceptant l'idée que le lait n'est qu'un simple carton à prendre sur une étagère de supermarché et que les œufs arrivent à la maison emballés dans des plateaux bien rangés, provenant d'une ferme qui pourrait tout aussi bien être une chaîne d'assemblage.
Pour beaucoup, la joie de découvrir et d'apprendre les traditions rurales et le mode de vie à la campagne est devenue un aspect qui n'existe plus que dans les manuels scolaires.
À l'école primaire de Beza, à 10 km de Masvingo, la cinquième ville du Zimbabwe, une salle de classe inhabituelle se trouve à ciel ouvert. Ici, les élèves apprennent ce que la vie urbaine ne leur enseigne pas.
La salle de classe comprend un enclos à chèvres qui abrite actuellement 29 animaux. Ces chèvres ne sont pas de simples bêtes d'élevage.
Elles font partie d'un programme éducatif unique conçu pour transmettre des leçons de vie sur la culture, les mathématiques et la durabilité.
Cette initiative, soutenue par le programme de l'UNESCO dénommé “Sauvegarde du patrimoine culturel immatériel à travers l'éducation de base” au Zimbabwe et en Namibie, comble le fossé entre le patrimoine et l'éducation pratique.
Pour des élèves comme Faith Maribha, le projet a transformé des leçons abstraites en expériences concrètes.
“Je n'avais lu sur les traditions villageoises que dans les livres”, raconte Faith à TRT Afrika.
“C'est fascinant d'apprendre qu'un chevreau s'appelle 'mbudzana' et de comprendre comment le bétail joue un rôle important dans les cérémonies traditionnelles de la culture shona. En cours d'arts visuels, nous voyons comment la peau d'animal est transformée en vêtements. Cela rend l'apprentissage réel.”
Même les cours de mathématiques ont pris une nouvelle dimension intéressante.
“Compter les chèvres que nous avons dans le kraal (enclos à bétail) est plus amusant que de travailler sur des chiffres sur une page”, confie un autre élève, Lawrence Moyo.
“Nous calculons la croissance du troupeau, mesurons la nourriture et même déterminons les doses vétérinaires. C'est des maths que nous pouvons utiliser.”
Changement de mentalité
Les élèves de l'école de Beza voient désormais les chèvres comme bien plus que de la nourriture ou une source de revenus ; elles représentent un lien avec les traditions ancestrales.
Enia Chikohora, une enseignante, leur explique pourquoi les chèvres sont considérées comme des cadeaux précieux lors de cérémonies comme le masungiro ou le kusungira.
Dans ce rituel, une femme enceinte ou nouvellement mariée retourne chez ses parents pour la naissance de son enfant ou dans le cadre des traditions post-mariage.
“Lorsque qu'une femme retourne chez ses parents à cette occasion, la culture shona considère cela comme un moment sacré. Elle apporte à ses parents une paire de chèvres offertes par ses beaux-parents, un mâle pour le festin cérémonial et une femelle pour l'élevage. Ce n'est pas seulement une question de nourriture ; c'est une question de vie, de lignée et de respect”, explique Enia.
L'impact dépasse la salle de classe. Des parents comme Tafara Moyo reconnaissent la valeur d'intégrer le patrimoine dans l'éducation moderne.
'“Je n'aurais jamais pensé que mon enfant apprendrait à l'école ce que j'ai appris de mes grands-parents”, confie-t-il à TRT Afrika. “Ce mélange de tradition et d'éducation garantit que les connaissances natives ne se perdent pas avec le temps mais sont chéries et transmises comme un héritage.”
Désormais, chaque fois qu'un rituel traditionnel est pratiqué à la maison, le fils de Moyo n'est pas déconnecté de ses racines. “Il comprend la signification derrière la pratique. Il aide également à s'occuper de nos chèvres en utilisant les techniques qu'il a apprises à l'école. C'est le genre d'éducation dont nous avons besoin, une éducation qui reste avec eux pour la vie”, déclare le père ravi.
Système organisé
Le projet soutenu par l'UNESCO aide les élèves à se connecter à leur patrimoine tout en acquérant des compétences pratiques.
Les cours d'agriculture à l'école incluent des remèdes traditionnels à base de plantes pour les blessures des animaux de ferme, mêlant savoirs ancestraux et techniques modernes d'élevage.
À l'école primaire de Sikato, un autre projet soutenu par l'UNESCO est en cours. Celui-ci est centré sur les poulets traditionnels « roadrunner », une race robuste et autosuffisante enracinée dans la culture zimbabwéenne.
Les élèves apprennent les bienfaits de l'utilisation de l'aloe vera pour la santé des volailles et l'importance de planter des herbes répulsives contre les serpents autour des poulaillers.
“Dans notre culture, offrir un poulet à un invité est la plus haute forme de respect”, explique un enseignant de l'école. “Et les plumes de poulet ? Elles ne sont pas des déchets, mais utilisées comme ornements pour accompagner les tenues traditionnelles.”
L'initiative de l'UNESCO ne se limite pas à préserver le passé ; elle prépare également les élèves pour l'avenir.
“Ce projet n'enseigne pas seulement l'histoire ; il fait des élèves des gardiens fiers de leur patrimoine”, déclare Enia. “Ils voient comment la tradition et les compétences modernes peuvent travailler ensemble.”