Quel rapport existe-t-il entre la tour Eiffel de Paris, l’un des monuments les plus visités du monde, et Haïti ?
À première vue, aucun. Pourtant, les résultats d’une longue et patiente enquête d’une équipe d’intrépides journalistes du New York Times du 20 mai 2022, révèlent que l'essentiel des fonds destinés à la construction de ce monument emblématique proviennent du pillage d'Haïti.
Au cœur de la manœuvre, la Banque appelée Crédit industriel et commercial (CIC) qui a bénéficié des manœuvres colonialistes du roi de France d’alors, Charles X.
Pour bien comprendre l’implication de la CIC dans le pillage d'Haïti et le financement de la tour Eiffel, il faut remonter à la tragédie de l’histoire de cette république des Caraïbes.
Dette coloniale
En 1804, Haïti, la première république constituée en majorité d’anciens esclaves révoltés venus d’Afrique, arrache son indépendance, en triomphant des forces coloniales françaises.
Néanmoins, la France ne s’avoue pas facilement vaincue. Vingt ans plus tard, elle revient au large de l'île avec un impressionnant détachement militaire de navires de guerre. L’objectif de cette initiative du roi Charles X est d’intimider, afin d’obtenir par la force une importante rançon, en échange de la reconnaissance de l'indépendance.
La somme exigée était de “150 millions de francs français, à verser en cinq tranches annuelles. C’est bien au-dessus des moyens du pays”, indépendant seulement depuis 20 ans, commente le New York Times qui consacre une minutieuse enquête d’un an à ce sujet.
Le pays est obligé de s'endetter et la France ordonne que l’emprunt se fasse auprès de ses banques. C’est alors que le Crédit industriel et commercial (CIC) entre en scène.
“Le néocolonialisme par la dette”
Haïti contracte alors un emprunt dont les paiements s'étalent sur 64 ans. Le New York Times évalue l’endettement à 56 milliards de dollars actuels ! C’est “le néocolonialisme par la dette”, commente Thomas Piketty, l’un des économistes consultés par le New York Times. “Cette fuite a totalement perturbé le processus de construction de l’État”, ajoute-t-il.
En 1880, le pays a cessé de payer ses dettes à la France à hauteur de 560 millions de dollars, d'après les calculs du New York Times. Il aspire alors à l'indépendance financière par la création de la Banque nationale d'Haïti. Une autre occasion manquée, dans la mesure où le partenaire choisi pour cette opération est la banque française Crédit Industriel et Commercial, ou CIC.
Le CIC contrôlera la banque nationale d’Haïti depuis Paris et prélèvera des commissions sur chaque transaction effectuée. Elle siphonne alors des dizaines de millions de dollars, au profit des investisseurs français, accablant les gouvernements successifs d'Haïti d’une importante ardoise.
“Ces capitaux, destinés à soulager la dette haïtienne, sont détournés pour financer des projets en France, dont la construction emblématique de la Tour Eiffel, s’indigne l’universitaire haïtien Gary Olius dans une tribune parue en 2022 dans le journal local Alter press.
“Cette ironie cruelle souligne l’injustice historique, où l’argent destiné à Haïti contribue à ériger un symbole de la puissance française. Aujourd’hui, la Tour Eiffel, estimée à des milliards d’euros, témoigne de cette étrange liaison financière entre deux nations que tout semble opposer”.
“Sur l’ensemble des impôts et taxes collectés par Haïti lorsque le CIC contrôlait sa banque centrale, seulement 2% allait à la construction et à la direction du pays. Le reste était en grande partie englouti par le CIC et ses investisseurs”, s’indigne Ekō, une communauté de personnes engagées pour limiter le pouvoir grandissant des entreprises à travers le monde.
Situation “gênante”
Banque de proximité forte de 20 000 collaborateurs en France, le Crédit Mutuel, dont le CIC est aujourd’hui une filiale, parle de situation “gênante” et promet d’embaucher une équipe de chercheurs pour évaluer le rôle du CIC dans le pillage d’Haïti…
En attendant, l’argent destiné à développer Haïti a contribué, grâce aux manœuvres du CIC, à édifier la tour Eiffel, un symbole de la puissance et du prestige de la France, alors que ce pays des Caraïbes croupit dans la misère, s’indigne Gary Olius.
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