TURQUIE
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Turquie: la vie et l’époque du leader turc visionnaire, Turgut Ozal
L'ancien Premier ministre et président Turgut Ozal est décédé le 17 avril 1993. Il est considéré comme l’un des grands leaders du conservatisme ayant permis à la périphérie turque d’accéder au centre du pouvoir.
Turquie: la vie et l’époque du leader turc visionnaire, Turgut Ozal
Ozal a fondé le Parti de la mère patrie (Anavatan Partisi) en 1983, avec des membres issus de diverses tendances politiques, notamment nationaliste, religieuse, libérale et sociale-démocrate. / AA
17 avril 2025

La Turquie commémore le 32e anniversaire de la disparition de son éminent dirigeant Turgut Özal, décédé subitement le 17 avril. Sa mort avait rassemblé des centaines de milliers de citoyens ordinaires à ses funérailles officielles, auxquelles ont assisté des dignitaires venus de 72 pays.

La politique conservatrice modérée d’Ozal et son approche libérale sur divers sujets –allant de la gestion économique du pays à la réduction de l’influence de l’armée sur le système politique– ont transformé la Turquie de manière inattendue.

Et cela, même après que le pays a subi un coup d’État militaire brutal en 1980, qui avait anéanti tous les partis établis.

“L’État doit être au service du peuple. Le peuple n’est pas fait pour servir l’État”, déclarait Ozal pour résumer sa philosophie politique, inspirant de nombreux autres hommes politiques, dont le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui a fondé le Parti de la justice et du développement (AK Parti) en 2001 avec une philosophie similaire.

Ozal a fondé le Parti de la mère patrie (Anavatan Partisi) en 1983, avec des membres issus de diverses tendances politiques, notamment nationaliste, religieuse, libérale et sociale-démocrate. Le parti a remporté une victoire écrasante aux élections générales de la fin de 1983.

En 1987, le Parti de la mère patrie a de nouveau remporté les élections générales, bien que son score ait baissé. Cependant, grâce à une réforme du système électoral imposant un seuil de 10% pour être représenté au parlement, le parti a pu obtenir une majorité et former un nouveau gouvernement.

En 1989, Turgut Ozal a été élu huitième président de la République de Turquie, devenant le premier homme politique civil à accéder à ce poste suprême. Depuis la fondation de la République, tous les présidents, y compris Mustafa Kemal Ataturk, le père fondateur de la Turquie, étaient issus de l’armée.

Ozal a ainsi été une exception majeure dans le système politique turc, où l’armée exerçait une influence dominante depuis des décennies, prenant régulièrement le pouvoir par des coups d’État. Mais il a aussi connu des tensions avec les militaires.

En 1988, lors d’un congrès de son parti, il a été la cible d’une tentative d’assassinat, que certains ont attribuée en partie aux élites militaires du pays. Il en a échappé avec des blessures légères.

Mais il a vu sa survie comme un acte du destin, déclarant sur le champ : “Je tiens particulièrement à souligner que personne ne peut ôter la vie que Dieu a accordée, sans Sa volonté. Nous nous sommes soumis à Sa volonté”.

La religiosité d’Ozal a toujours été un aspect fondamental de sa carrière politique hors du commun.

Les origines d’Ozal

Turgut Ozal est né en 1927 dans la province orientale de Malatya. Il était en partie d’origine kurde –une identité qu’il n’hésitait pas à évoquer, contrairement à nombre de ses prédécesseurs pour qui le sujet était tabou.

Il fut également le premier président à être né durant la période républicaine. Tous ses prédécesseurs étaient nés à l’époque de l’Empire ottoman.

Son père, comme son grand-père, était un homme profondément religieux, et nourrissait une certaine méfiance envers le récit républicain strictement laïc et critique de l’Empire ottoman.

Un jour, Ozal a raconté une anecdote à ce sujet : “Je lisais un livre d’histoire qui décrivait le sultan Abdulhamid II comme "le Sultan rouge", un tyran. Mon grand-père m’écoutait, puis m’a dit : "Tout cela, ce sont des mensonges. On vous apprend des choses fausses". Je lui ai répondu : "Comment peux-tu savoir mieux que le livre ?".

Plus tard, après être parti aux États-Unis dans les années 1950 puis 1970 pour poursuivre ses études (après avoir été diplômé de la faculté d’ingénierie électrique de l’Université technique d’Istanbul, l’une des plus anciennes institutions du pays), il a pu lire en anglais d’autres ouvrages sur la vie et l’héritage d’Abdulhamid II. Il en est venu à la conclusion que ce n’étaient pas les manuels républicains mais bien son grand-père qui avait raison.

“Je me suis demandé à quel point l’enseignement de l’histoire pouvait être biaisé”, a-t-il déclaré, fidèle à sa vision iconoclaste.

Ainsi, une fois au pouvoir, Ozal a abordé le passé ottoman d’une manière bien différente de celle de ses prédécesseurs. Il a adopté une politique active que certains ont qualifiée de “néo-ottomanisme”, visant à renforcer l’influence turque dans les régions autrefois ottomanes, des Balkans au Caucase et au Moyen-Orient.

Erdogan, qui prône lui aussi un renforcement de l’influence turque, a souvent souligné les similitudes entre sa propre vision politique et celle d’Ozal, saluant ses réalisations.

“Le défunt Turgut Ozal a joué un rôle de premier plan dans le développement et le progrès de notre pays, occupant une place particulière dans le cœur de la nation”, a déclaré Erdogan l’année dernière, en hommage à l’ancien président.

Turgut Ozal faisait également partie du mouvement religieux Milli Gorus (Vision nationale), qui a marqué profondément la politique turque depuis la fin des années 1960, en fondant plusieurs partis défendant une politique conservatrice et prônant une continuité entre le passé ottoman et le présent républicain.

Necmettin Erbakan, fondateur et leader du mouvement, était un disciple de Mehmed Zahid Kotku, chef de la communauté d’Iskenderpasa, une branche de l’ordre soufi mondial Naqshbandi. Il a dirigé plusieurs de ces partis jusqu’à la fin des années 1990. Ozal et Erdogan ont, tous deux, à un moment donné, fait partie du mouvement sous la direction d’Erbakan.

La politique économique d’Ozal

Ozal défendait la libéralisation de l’économie turque, en l’ouvrant vers l’extérieur et en engageant une privatisation massive de certains secteurs publics. Cette orientation a suscité des critiques et l’a mis en opposition avec certains puissants leaders syndicaux et des politiciens favorables aux droits des travailleurs.

Sous les gouvernements d’Ozal, l’inflation en Turquie était très élevée, atteignant souvent des taux à deux chiffres, ce qui a particulièrement affecté les familles à faibles revenus.

Malgré les critiques, Ozal disposait d’une solide connaissance de l’économie. Il avait travaillé pour la prestigieuse Organisation de planification de l’État (Devlet Planlama Teskilati - DPT). Il a également travaillé pour la Banque mondiale aux États-Unis entre 1971 et 1973, période durant laquelle il a perfectionné son anglais.

Au milieu des années 1970, il a également travaillé dans plusieurs entreprises privées, notamment le conglomérat Sabancı Holding, ce qui a enrichi davantage son expérience. En 1979, il est devenu sous-secrétaire du Premier ministre de l’époque, Suleyman Demirel, qui deviendra son rival politique plus tard, à la fin des années 1980 et au début des années 1990.

Sous le gouvernement Demirel, Ozal a joué un rôle clé dans l’élaboration des très controversées “décisions du 24 janvier”, un ensemble de grandes réformes économiques qui ont jeté les bases de la libéralisation financière du pays.

Bien que ses politiques économiques aient été fortement critiquées à l’époque, beaucoup reconnaissent aujourd’hui qu’elles ont contribué à la croissance économique de la Turquie.

La mort suspecte d’Ozal

Turgut Ozal est décédé soudainement en 1993 alors qu’il était président.

Les circonstances de sa mort restent suspectes. Une autopsie réalisée en 2012, après l’exhumation de son corps, a révélé la présence de substances toxiques, mais le rapport s’est arrêté avant d’affirmer que cela avait causé sa mort.

Sa famille soutient qu’il a été empoisonné. Cependant, selon le rapport officiel de son décès, l’ancien président est mort d’une crise cardiaque.


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