Par Betül Uygur
Un jour par an… On peut citer le 4 juillet (États-Unis), le 14 juillet (France), le 29 octobre (Turquie).
L’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) à Addis-Abeba a été créée le 25 mai 1963, cette date a été proclamée “Journée de l’Afrique”.
L’OUA est devenue l’Union africaine en 2002, mais la date est restée la même.
Chaque année, des célébrations sont organisées autour de thèmes élaborés par l’Union, avec le soutien de l’ONU.
Ces thèmes suscitent des festivités enthousiastes, non seulement en Afrique, mais aussi dans le monde entier. Le thème de 2025 est « Justice et réparation ».
Cette année, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a publié une déclaration à cette occasion, réaffirmant son engagement à « soutenir les efforts du continent en faveur de la paix, du développement et de la protection des droits humains ».
Le président français Emmanuel Macron, quant à lui, se trouvait au Vietnam, première étape de sa tournée asiatique, bien loin de l’Afrique. Il n’a partagé aucun message concernant la Journée de l’Afrique, ni même évoqué le sujet dans ses discours.
Les frères et les sœurs africains de la Turquie
En Turquie, où le président Recep Tayyip Erdoğan proclame haut et fort, sur toutes les plateformes, que « le monde est plus grand que cinq » et qu’« un monde plus juste est possible », la Journée de l’Afrique a été célébrée par diverses manifestations.
L’une d’elles s’est tenue à la Bibliothèque nationale présidentielle, située dans le complexe présidentiel. Elle a été organisée par l’Association des ambassadeurs et chefs de mission africains (ASHOM).
Emine Erdoğan, l’épouse du président de la République de Turquie, a exprimé son attachement particulier à l’Afrique à travers une publication émouvante sur ses réseaux sociaux à l’occasion de la Journée de l’Afrique :
L’Afrique, nom de nombreux peuples chargés d’espoir, de civilisations millénaires, de musique, de danse, de couleurs et de vie. Chaque voyage en Afrique a laissé des traces indélébiles dans mon cœur. Des sourires chaleureux, le langage du partage, des vies simples mais profondes… Cela m’a rappelé l’essence de la vie. Je félicite chaleureusement tous mes frères et sœurs africains en ce jour si important, et je souhaite que la paix, la prospérité et la fraternité fleurissent toujours sur les terres fertiles du continent.
Dans cette déclaration touchante de la Première Dame de Turquie, l’expression « mes frères et sœurs africains » résume à elle seule l’affection sincère que la Turquie porte à l’Afrique.
Ne pas envoyer de message, n’est-ce pas aussi un message ?
Alors que le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, a partagé un message de félicitations sur les réseaux sociaux, son homologue français, Jean-Noël Barrot, est resté silencieux.
De plus, le secrétaire d’État français chargé de la Francophonie et de la Coopération internationale, Thani Mohamed Soilihi, qui avait auparavant salué des journées régionales comme celle de l’Europe, a choisi de garder le silence à l’occasion de la Journée de l’Afrique.
À l’heure où la doctrine dite “Françafrique”, c’est-à-dire les relations néo-coloniales tissées entre Paris et ses anciennes colonies africaines après les indépendances, est critiquée dans toute l’Afrique, et où les pays du Sahel prennent clairement leurs distances, il est significatif que la diplomatie française ignore cette journée symbolique, alors même que son “soft power” et son “smart power” sur le continent s’effritent.
Ce silence met une nouvelle fois en question la promesse de la France d’« établir un partenariat d’égal à égal avec l’Afrique ».
Un silence d’autant plus frappant qu’il ignore les près de 3,5 millions de citoyens d’origine africaine vivant sur son propre territoire.
Peut-être la France a accepté sa nouvelle place sur un continent longtemps considéré comme son arrière-cour… et choisi de mettre le cap sur d’autres rivages.
La politique d’ouverture de la Turquie à l’Afrique : des solutions africaines aux problèmes africains
La Turquie était elle aussi aux côtés de ses frères africains en ce jour spécial.
Bien que le « Plan d’action pour l’ouverture vers l’Afrique », élaboré sous l’égide du ministère des Affaires étrangères en 1998, soit considéré comme la première initiative significative visant à institutionnaliser les relations avec le continent, cette politique a véritablement pris son essor après l’arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement en 2002.
La vision de la politique étrangère de la Turquie a connu une transformation sous l’impulsion de Recep Tayyip Erdoğan, alors Premier ministre.
Cette transformation s’est fondée sur une approche multi-axes, multilatérale et centrée sur l’humain, qui dépassait le cadre traditionnellement occidental.
Cette nouvelle orientation a profondément influencé la posture de la Turquie vis-à-vis de l’Afrique, inaugurant ainsi une ère nouvelle.
La désignation de l’année 2005 comme « Année de l’Afrique » par la Turquie et l’organisation du premier Forum économique Turquie-Afrique la même année ont constitué des tournants décisifs, conférant à cette ouverture une visibilité symbolique et diplomatique renforcée.
Ainsi, la politique africaine de la Turquie s’est développée en une démarche diplomatique à multiples acteurs, mobilisant non seulement l’État, mais aussi le secteur privé, la société civile et les institutions d’aide humanitaire.
La Turquie, qui promeut des « solutions africaines aux problèmes africains », se distingue également par son approche fondée sur le principe du « gagnant-gagnant ».
La main tendue de la Turquie à l’Afrique
Alors qu’en 2002, la Turquie ne comptait que 12 ambassades sur le continent africain, ce nombre est passé à 44 en 2025. Durant la même période, le nombre d’ambassades africaines en Turquie est passé de 10 à 38.
Ces chiffres témoignent de manière éloquente du renforcement des liens diplomatiques nourris par une affection historique croissante entre la Turquie et l’Afrique.
Dans le cadre de cette dynamique, plusieurs institutions turques telles que l’Agence turque de coopération et de coordination (TIKA), le Croissant-Rouge turc, l’AFAD, la Fondation Maarif, l’Institut Yunus Emre ou encore la Présidence des Affaires religieuses, mènent des actions concrètes en Afrique dans les domaines de l’aide au développement, de l’éducation, de la culture et du dialogue inter-religieux.
En 2025, on compte 211 écoles de la Fondation Maarif sur le continent, accueillant un total de 22 000 élèves.
En 2024, le volume des échanges commerciaux entre la Turquie et l’Afrique a atteint 36,7 milliards de dollars. Turkish Airlines dessert désormais 64 destinations dans 41 pays africains.
Par ailleurs, la valeur des projets menés par les entrepreneurs turcs en Afrique s’élève à près de 92 milliards de dollars, pour un total d’environ 2 000 chantiers.
Le quatrième Sommet du partenariat Turquie-Afrique, dont la première édition remonte à 2008, est prévu pour 2026.
Parallèlement à cette présence institutionnelle, la Turquie s’attache aussi à construire une “narration africaine” authentique par le biais de ses médias publics.
Le diffuseur public TRT, et notamment sa branche internationale TRT World, développe une diplomatie médiatique axée sur les récits locaux et l’écoute mutuelle.
La chaîne TRT Afrika, lancée avec le slogan “L'Afrique telle quelle”, s’efforce de refléter le continent à travers sa propre voix, sans prisme eurocentrique, en mettant l’accent sur ses richesses culturelles, ses défis propres et ses réussites locales.
Cette approche médiatique s’inscrit dans la logique plus large de la politique africaine de la Turquie : plurielle, inclusive et fondée sur le respect mutuel.
Une attention bienveillante pour les femmes africaines : la Maison de la culture africaine
La Maison de la culture africaine est un centre socioculturel et solidaire, créé à Ankara pour soutenir les femmes africaines à travers l’artisanat, l’éducation et la visibilité internationale.
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a effectué des visites officielles dans plus de 40 pays africains à ce jour.
Depuis le tout début, son épouse, Emine Erdoğan, l’a accompagné dans ces déplacements. Elle a même effectué l’année dernière un voyage officiel au Nigéria, de sa propre initiative.
Lors des programmes qu’elle organise en Turquie ou à l’étranger, elle invite les épouses de dirigeants africains, des représentants d’organisations internationales de haut niveau ainsi que des ministres. L’attention sincère et l’intérêt marqué que suscitent ses projets et sa personnalité chez ses invités sont particulièrement remarquables.
Emine Erdoğan ne reste pas en retrait derrière le protocole : elle se tient aux côtés des femmes, les yeux dans les yeux. Elle rencontre les peuples africains, échange avec eux, partage leurs récits.
Chaque visite devient bien plus qu’une simple mission officielle : elle se transforme en un lien de cœur avec l’Afrique.
Elle raconte avoir été profondément touchée lors d’une visite en Éthiopie en 2015, en voyant un groupe de femmes africaines lutter pour leur survie grâce à leur travail artisanal. De retour à Ankara, elle prend une décision concrète et pose un acte fort.
C’est l’histoire de femmes qui, grâce à leurs mains, sont passées du statut de femmes invisible à celui de “Cendrillon reconnue” ; de l’époque où leur travail était exploité et vendu à vil prix, à une nouvelle ère où leurs créations atteignent enfin leur juste valeur.
C’est l’histoire de la porte ouverte sur l’Afrique depuis les rues historiques de Hamamönü à Ankara, inaugurée en 2016 par Emine Erdoğan. Son nom : la Maison de la culture africaine.
Dans cette maison, des produits fabriqués par des femmes originaires de divers pays africains sont mis en vente sans but lucratif.
L’objectif n’est pas seulement de soutenir, mais aussi de rendre visibles ces femmes et leurs talents. Les revenus générés permettent de financer des projets sociaux en faveur des femmes et des enfants africains. Ces femmes parviennent ainsi à scolariser leurs enfants, à faire vivre leurs familles.
Elles deviennent actrices du développement de leur continent.
Les femmes africaines se renforcent, l’Afrique se renforce.
La Maison de la culture africaine est l’un des exemples les plus concrets et éloquents de l’approche unique de la Turquie envers le continent africain. Car ici, il ne s’agit pas uniquement de développement ou d’aide, mais bien de solidarité féminine, de proximité culturelle et de foi en un avenir commun.
Cette maison n’est pas simplement un bâtiment : c’est l’un des messages les plus sincères que la Turquie ait adressés à l’Afrique.
Par ailleurs, l’engagement d’Emine Erdoğan envers l’Afrique ne se limite pas à ses fonctions officielles.
Les ouvrages « Cuisine africaine » et « Proverbes africains », rédigés en collaboration avec les épouses des ambassadeurs africains, ainsi que son propre livre mémoire « Mes voyages africains », témoignent de la profondeur et de la sincérité de ce lien.
Cette histoire illustre avec force une Turquie amie et solidaire de l’Afrique – bien au-delà d’un simple acteur diplomatique.
Journée de l’Afrique : une boussole pointant vers l’avenir
La Journée de l’Afrique n’est plus seulement une journée qui parle à l’Afrique ; c’est une journée qui s’adresse à la conscience du monde, à sa mémoire et à sa carte diplomatique.
Le 25 mai n’est plus uniquement un anniversaire pour les pays africains ; il est devenu une boussole qui indique où se tient la diplomatie et aux côtés de qui l’Afrique souhaite avancer dans l’avenir.
Cette année, comme chaque année, la Turquie a célébré cette journée symbolique avec un langage sincère et fraternel : une étreinte multidimensionnelle allant du protocole d’État aux événements culturels, des ambassades à la valorisation du travail des femmes.
Tandis que certains pays ont observé cette date dans le silence, d’autres l’ont transformée en une occasion de dialogue et de solidarité.
La France, quant à elle, est restée muette, malgré la fragilité croissante de son “soft power” sur le continent et la présence de millions de citoyens d’origine africaine sur son propre sol.
Ce silence n’est pas qu’un oubli diplomatique : c’est le symbole d’une influence déclinante, d’un lien qui s’effiloche.
En politique, ce qui passe sous silence est parfois aussi révélateur que ce qui est clairement dit.
Le « nous sommes à vos côtés » de la Turquie et le silence notable de la France illustrent non seulement deux visions différentes de l’Afrique, mais aussi deux postures face au monde de demain.
La visibilité de la Turquie en Afrique ne se mesure pas seulement au nombre d’ambassades, à ses volumes commerciaux ou à ses sommets diplomatiques.
Elle se lit dans les gestes concrets, dans la chaleur d’un repas partagé, dans le travail valorisé des femmes, dans la tendresse des mots prononcés sans attendre de retour.
La Turquie ne se contente pas d’emprunter le chemin de l’Afrique ; elle y avance avec le cœur, elle tend la main avec sincérité.
Ce qui la distingue, c’est sa capacité à établir un dialogue respectueux et durable fondé sur la dignité, la solidarité et la co-construction d’un avenir commun.
L’auteure Betül Uygur est analyste des dynamiques post-coloniales entre la France et les pays africains francophones. Ses travaux portent sur les interactions entre les médias, les politiques publiques et les représentations des diasporas africaines dans l’espace européen.
Clause de non-responsabilité : Les opinions exprimées par l’auteure ne reflètent pas nécessairement celles de TRT Afrika.