Par Kevin Momanyi Phillips

Trois milans noirs perchés confortablement sur un homme – deux sur ses épaules, un sur sa tête – parcourent les rues animées de Nairobi sous le regard médusé des piétons.

Alors que les regards se tournent vers ce trio de rapaces et leur ami humain, il ne faut pas longtemps pour comprendre le lien qui les unit.

Voici Rodgers Oloo Magudha, qui a passé 13 ans comme sans-abri avant que sa relation improbable avec ses amis à plumes ne fasse de lui une légende urbaine.

« Les gens m’appellent l’Homme-Oiseau de Nairobi », raconte Rodgers à TRT Afrika. « Quand vous me regardez, vous pouvez voir qui je suis. »

De la rue au sanctuaire

Élevé par une mère célibataire à Nakuru, à environ 170 km de la capitale du Kenya, la vie de Rodgers a pris un tournant radical lorsque sa mère est décédée.

Il a passé les 13 années suivantes dans la rue, souvent à s’abriter sous des arbres, sans personne pour prendre soin de lui.

Les moments de solitude mènent parfois à des découvertes inattendues d’amitié. Un jour, un petit oiseau malade a attiré l’attention de Rodgers, marquant un autre tournant dans son parcours difficile.

Touché par la compassion, il a adopté l’oiseau, le soignant avec de la nourriture, de l’amour et des soins. Ce nouvel ami à plumes ne l’a plus jamais quitté.

Rodgers appelle l’oiseau Johnson, un nom désormais aussi célèbre dans les rues de Nairobi que celui de son soigneur.

Mais l’histoire ne s’arrête pas à un sans-abri qui se lie d’amitié avec un oiseau. Johnson a donné à Rodgers un sens à sa vie qui lui manquait.

« Nous avons développé une connexion unique. Il est devenu mon compagnon constant dans la rue. Johnson peut suivre mes instructions ; il grimpe même sur mon épaule quand je lui demande », explique Rodgers.

Les deux autres oiseaux battant des ailes tout en étant perchés sur ses épaules ont leurs propres histoires.

“Celui sur mon épaule gauche s’appelle Joan, et l’autre Jaime. Ce sont toutes les deux des femelles. J’ai nommé Joan en souvenir de mon ex-petite amie Joannitta, juste pour ne jamais l’oublier”, confie Rodgers à TRT Afrika.

Lutter ensemble

La vie dans la rue était déjà difficile. Devoir s’occuper de trois oiseaux rend parfois les choses encore plus compliquées pour « l’Homme-Oiseau de Nairobi ».

“Ces oiseaux appartiennent à la famille des milans noirs. Je les nourris généralement de viande crue, mais quand je n’ai pas les moyens d’en acheter, nous nous débrouillons avec ce que nous avons et nous nous en sortons ensemble”, dit-il.

Rodgers doit également faire face aux regards méfiants des sceptiques qui considèrent sa relation avec les rapaces comme étrange, voire surnaturelle.

“On m’a accusé de sorcellerie. Mais Dieu Tout-Puissant nous a donné un monde à partager avec ces créatures, donc personne ne peut me juger. Je prends soin de ces oiseaux, et ils m’aiment aussi profondément.”

Des rêves qui prennent leur envol

Le désir et les efforts de Rodgers pour être plus qu’un simple sujet de curiosité vont au-delà de ses circonstances actuelles.

Il envisage de construire un orphelinat où il pourrait accueillir davantage d’oiseaux et créer un centre que les gens pourraient visiter pour observer différentes espèces d’oiseaux. Il rêve également d’établir un centre de secours pour ce qu’il appelle la “communauté de la rue”.

“La rue est le foyer de personnes oubliées par leurs familles ou laissées pour compte. Je souhaite faire quelque chose pour les autonomiser, notamment en leur enseignant des compétences de vie”, explique Rodgers.

Alors que la portée de sa mission continue de croître, il est le plus réfléchi lorsqu’il parle de ses amis oiseaux.

“Peu importe où je vais, ces oiseaux seront toujours avec moi. Les oiseaux jouent un rôle crucial dans l’écosystème, particulièrement dans le contexte du changement climatique et de ses effets. Nous devons en prendre soin par tous les moyens”, suggère Rodgers.

Alors, a-t-il déjà réfléchi à la nature fortuite de sa relation avec les oiseaux ?

“Je pense que dans une autre vie, je serais un oiseau”, sourit-il.