Crimes coloniaux français au Cameroun : la reconnaissance de Macron n'est qu'une demi-vérité
POLITIQUE
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Crimes coloniaux français au Cameroun : la reconnaissance de Macron n'est qu'une demi-véritéLa reconnaissance par le président français Emmanuel Macron de l'histoire sanglante de la lutte pour l'indépendance du Cameroun a ouvert un archive scellée de la brutalité coloniale sans offrir la catharsis dont le pays a besoin.
Une lettre du président français Emmanuel Macron à son homologue camerounais révèle une répression violente au Cameroun pré-indépendant. / Others
19 août 2025

Par Emmanuel Oduor

La France a longtemps enveloppé ses opérations militaires brutales au Cameroun dans l'ambiguïté d'un langage bureaucratique.

Ce que le gouvernement français qualifiait d'« opérations de maintien de l'ordre » était en réalité des répressions violentes au cours desquelles de nombreux leaders du mouvement pour l'indépendance du Cameroun ont été tués, tandis que des centaines de milliers de personnes étaient regroupées dans des camps d'internement.

Aujourd'hui, une lettre du président français Emmanuel Macron adressée à son homologue camerounais a avoué ce “secret” jalousement gardé.

Rendue publique la semaine dernière, cette lettre marque la première fois que la France reconnaît officiellement avoir utilisé une « violence répressive » dans ce pays d'Afrique centrale.

Bien que Macron n'ait pas présenté d'excuses pour ces atrocités, son aveu représente une tentative supplémentaire de la France de faire face à son passé colonial, dans un contexte où son influence s'érode progressivement dans ses anciennes colonies africaines, notamment dans la région du Sahel.

« Ce qui se passe actuellement n'est pas suffisant. Nous ne sommes pas encore satisfaits. Ce sont des opinions verbales du président Macron, mais le peuple veut voir plus », déclare l'historien camerounais, le Dr Therence Atabong Njuafac, à TRT Afrika.

L'ampleur des actions de la France au Cameroun est restée largement méconnue pendant toutes ces années, même pour de nombreux citoyens français.

Le voile de secret s'étendait aux assassinats et disparitions mystérieuses, qui étaient monnaie courante à l'époque.

Ces détails ont été clairement identifié en janvier dernier, lorsque des historiens camerounais et français ont publié un rapport officiel basé sur des documents récemment déclassifiés et des recherches d'archives couvrant les événements des années 1950 et 1960.

« (La lettre de Macron) signifie que notre histoire pourrait ne pas être vrai du tout. L'histoire du Cameroun a été déformée dans une certaine mesure. Les gens apprenaient quelque chose qui n'était pas véridique », explique le Dr Atabong, dont le livre Cry of Cameroonians a été décrit comme « une réflexion poignante sur un peuple pris entre espoir et adversité ».

Briser le silence

L'histoire de la colonisation du Cameroun a commencé à la fin du XIXe siècle, lorsque les puissances européennes, dont l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, se sont disputées le contrôle des territoires africains.

La Conférence de Berlin de 1884-1885 a marqué un tournant, avec l'Allemagne établissant son contrôle sur le Cameroun.

Cependant, après la défaite de l'Allemagne lors de la Première Guerre mondiale, le Cameroun a été confié à la Grande-Bretagne et à la France, les Britanniques contrôlant les régions occidentales et les Français les régions orientales.

Le 1er janvier 1960, le Cameroun sous domination française a obtenu son indépendance.

En 1961, les territoires camerounais contrôlés par les Britanniques et les Français ont été réunis. Ahmadou Ahidjo est devenu le premier dirigeant du Cameroun après l'indépendance.

Les historiens considèrent la reconnaissance par Macron des atrocités françaises comme un moment clé qui pourrait offrir aux Camerounais un aperçu de leur histoire mouvementée de colonisation.

Lorsque le Cameroun a obtenu son indépendance de la France en janvier 1960, les forces françaises ont tué les leaders clés de l'indépendance comme Isaac Nyobè Pandjock, Ruben Um Nyobè, Félix-Roland Moumié, Paul Momo et Jérémie Ndéléné.

Une grande partie de ce qui s'est passé à cette époque a soit disparu des récits historiques officiels, soit n'a jamais été incluse.

Les programmes scolaires camerounais mentionnaient à peine ces vérités douloureuses, un silence que beaucoup attribuent à une collusion entre la France et ses alliés dans le gouvernement camerounais post-indépendance.

« Nous avons maintenant accès à la vérité. La promesse de Macron d'ouvrir les archives signifie que les historiens, les journalistes et les familles des victimes peuvent désormais découvrir les preuves des massacres, des disparitions et des assassinats politiques, offrant ainsi au Cameroun un récit historique plus clair », déclare le Dr Atabong à TRT Afrika.

Des réparations sont nécessaires

Bien que la réécriture de l'histoire de l'indépendance du Cameroun soit attendue depuis longtemps, le refus du président français de présenter des excuses ou de répondre aux appels à des réparations signifie que la douleur sous-jacente demeure.

« Il (Macron) n'a pas présenté de processus concret de justice. Qu'en est-il des sites mémoriels, des exhumations de fosses communes ou des journées officielles de commémoration ? Nous devons nous souvenir de ces personnes », déclare le Dr Atabong.

Macron a fait de la réinitialisation des relations post-coloniales avec les anciennes colonies africaines l'une des priorités de sa présidence, bien que la sincérité de ces efforts reste à prouver.

L'année dernière, son gouvernement a reconnu pour la première fois que des troupes françaises avaient perpétré un massacre au Sénégal en 1944.

Il a également admis le rôle de la France dans le génocide rwandais de 1994 et tenté une réconciliation avec l'Algérie.

Les experts soutiennent que les opérations militaires de la France au Cameroun avant l'indépendance méritent une reconnaissance similaire.

« Nous voulons une déclassification complète des archives sans sélection arbitraire… Ils ne devraient pas exclure des informations importantes. Nous voulons également des excuses publiques aux victimes et à leurs descendants », affirme Atabong.

« Nous voulons des mesures réparatrices. Cela pourrait prendre la forme de bourses d'études, de développement d'infrastructures et de projets dans les régions les plus touchées. Nous avons besoin d'un processus de réconciliation centré sur les victimes entre les deux pays. »

Relations complexes

Dans toute l'Afrique francophone, les anciennes colonies repoussent l'influence continue de la France et, parfois, son ingérence dans leurs affaires.

Certains parmi la nouvelle génération de dirigeants considèrent la présence française, y compris la primauté d'une langue que les populations de leurs pays ont grandi en parlant et en écrivant, comme un obstacle à l'affirmation de leur souveraineté.

Le Cameroun pourrait faire figure d'exception, du moins officiellement.

Alors que l'opinion publique se retourne contre la France, le gouvernement de Yaoundé reste un allié fidèle.

Le président Paul Biya, aujourd'hui âgé de 92 ans et au pouvoir depuis près de 43 ans, brigue un huitième mandat lors des élections d'octobre.

« Peut-être que les masses, le peuple, sont en colère contre la France, mais le gouvernement est avec la France », ajoute Atabong.

Ce décalage apparent entre le sentiment populaire et la politique gouvernementale suggère que la quête de justice, de réparations et de véritable réconciliation sera probablement un long chemin.

SOURCE DE L'INFORMATION:TRT Afrika
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