Par Pauline Odhiambo et Millicent Akeyo
« Vont-ils m'accepter ? Suis-je en train de trahir ma foi en étant ici ? »
Ces questions tournaient en boucle dans l'esprit de Halima Aden alors qu'elle se tenait en coulisses du concours Miss Minnesota USA, son hijab soigneusement ajusté, son burkini contrastant avec tout ce que la compétition avait vu jusque-là.
À 19 ans, elle ne se préparait pas simplement à défiler sur un podium ; elle s'apprêtait à défier la définition même de la beauté dans une industrie entière.
Ce moment décisif, Halima le considère aujourd'hui comme le reflet de son dilemme identitaire, notamment sur la manière de trouver un équilibre délicat entre honorer son héritage somalo-musulman et se faire une place dans un monde qui, jusque-là, laissait peu de place à des femmes comme elle.
« Je ne voyais personne qui me ressemblait dans la mode ou les concours de beauté », confie à TRT Afrika, Halima Aden, premier mannequin à avoir porté le hijab, mais a quitté l'industrie de la mode en 2020, affirmant que cela était incompatible avec sa religion musulmane.
« Mais j'ai réalisé : si je n'essaie pas, qui le fera ? », s’est-elle interrogée lors de sa visite à Istanbul pour NEXT, un événement jeunesse du TRT World Forum.
Cette détermination discrète l'a propulsée dans l'histoire en tant que première mannequin portant le hijab à signer avec une grande agence. Pourtant, cette percée s'est accompagnée d'un fardeau inattendu.
« Les gens m'appelaient une 'pionnière', mais je ressentais la pression de toute une communauté sur mes épaules », dit-elle. « Chaque choix que je faisais – ce que je portais, les campagnes auxquelles je participais – n'était pas seulement pour moi. Il s'agissait de prouver que les femmes musulmanes ont leur place. »
Pionnière clivante
L'ascension de Halima a suscité à la fois un soutien passionné et des critiques virulentes. La supermodèle Naomi Campbell, défenseure de longue date de la diversité dans la mode, la qualifie de « force révolutionnaire ».
« Halima n'a pas seulement ouvert des portes – elle les a défoncées », a déclaré Campbell à Vogue. « Elle a obligé l'industrie à confronter ses préjugés. Ce n'est pas du mannequinat ; c'est de l'activisme. »
Le designer Tommy Hilfiger, qui a présenté Halima dans sa campagne de Ramadan 2018, est tout aussi élogieux.
« Elle représente l'avenir de la mode, un avenir où la beauté n'est pas définie par les standards occidentaux », lance-t-il.
Alors que certaines voix conservatrices accusent Halima de compromettre sa foi, elle continue d'avancer.
« Le mannequinat est une question de vanité, et le hijab est une question de modestie – ils ne peuvent pas coexister », affirme le cheikh Omar Suleiman, un éminent érudit islamique.
Le pouvoir de la représentation
Même dans les cercles de la mode, Halima a dû faire face à des critiques et à des doutes quant à sa capacité à se créer une niche durable dans l'industrie du glamour.
L'ancienne rédactrice en chef du magazine Elle, Nina Garcia, se demande si les marques utilisent Halima comme « un symbole » plutôt qu'une véritable pionnière. « Le véritable test sera de voir si les mannequins portant le hijab continueront à travailler après que la 'tendance diversité' se sera estompée », suggère-t-elle.
Pour Halima, la visibilité n'a jamais été qu'une question de succès personnel.
« Être la première mannequin portant le hijab m'a appris que la représentation crée des ponts entre les mondes », dit-elle à TRT Afrika.
« Ce n'est pas seulement mon histoire – c'est celle des filles réfugiées, des sœurs africaines et de toutes celles à qui on a dit qu'elles ne correspondaient pas aux normes. »
Elle se souvient d'un moment lors d'un casting à la Fashion Week de New York où un designer hésitait à lui permettre de garder son hijab.
« Je suis partie. Ce 'non' n'était pas seulement pour moi mais pour chaque fille qui regardait. Mais le lendemain, une autre marque a dit oui. Et ce 'oui' ? C'était pour nous toutes », explique Halima.
Retour en Afrique
Ayant grandi dans le camp de réfugiés de Kakuma au Kenya avant de s'installer aux États-Unis, Halima sait ce que cela signifie de ne pas se sentir à sa place.
Aux jeunes Africains en quête d'identité, son message est sincère : « Vous n'êtes pas seuls. J'ai été là – trop somalienne pour l'Amérique, trop américaine pour la Somalie. Mais votre singularité est votre force. »
À travers tout cela, sa famille reste son guide. « Quand je suis perdue, je me demande : ‘Que ferait ma mère ?’ La sagesse de nos ancêtres coule dans notre sang. Faites-lui confiance », dit-elle.
Mentionner l'Afrique en parlant de ses projets suffit à illuminer le visage de Halima.
« J'espère retourner au Kenya, inshallah », souffle -t-elle. « L'Afrique est un endroit magique. Lagos occupe une place spéciale dans mon cœur, tout comme la Zambie. Mais je veux explorer de nouveaux pays. Je manifeste que 2025 ou 2026 me ramèneront à Mère Afrique. »