Le drapeau blanc portant l'inscription noire « Il n'y a de Dieu qu'Allah » a été hissé sur le bâtiment de l'ambassade d'Afghanistan à Moscou.
Le personnel de l'ambassade est sorti sur le balcon pour installer le symbole de l'« Émirat islamique d'Afghanistan » ; ainsi, le jeudi 3 juillet 2025, le monde a assisté à un moment historique.
La Russie est devenue le premier pays à reconnaître officiellement l'autorité d'un mouvement qu'elle avait récemment considéré comme une organisation terroriste.
La décision du président russe Vladimir Poutine de reconnaître le gouvernement taliban a marqué un tournant non seulement pour les relations russo-afghanes, mais aussi pour l'ensemble du système des relations internationales de la région.
Cette décision pourrait déclencher un effet domino qui remodelerait le paysage géopolitique de l'Asie centrale et remettrait en question l'approche occidentale de la question afghane.
Un voyage d'un quart de siècle
L'histoire des relations russo-talibanes est un drame aux multiples facettes, jalonné de rebondissements inattendus et de changements radicaux.
À la fin des années 1990, lorsque les talibans ont pris le pouvoir en Afghanistan, Moscou a adopté une position intransigeante.
Et ce, pour une bonne raison : les talibans ont ouvertement soutenu leurs opposants dans le Caucase et, en 2000, ont même reconnu la Tchétchénie comme État indépendant. De plus, ils ont déclaré une guerre sainte – le djihad – contre la Russie.
Après la tragédie du 11 septembre 2001, la Russie a soutenu sans hésitation l'invasion américaine de l'Afghanistan.
En 2003, elle a officiellement inscrit les talibans sur sa liste des organisations terroristes. Les chemins de Moscou et du mouvement semblaient s'être séparés à jamais. Mais la géopolitique est l'art du possible.
Alors que la campagne américaine en Afghanistan s'éternisait, la position de la Russie a commencé à évoluer. Les talibans ont fait preuve d'une remarquable résilience dans la guérilla, et leur influence n'a fait que croître.
En 2013, le mouvement a obtenu un bureau politique au Qatar et Moscou a commencé à nouer des contacts avec son aile modérée.
L'avancée diplomatique a eu lieu en 2017 avec la création des consultations supervisées par Moscou sur l'Afghanistan.
Pour la première fois, les talibans se sont assis à la table des négociations avec le gouvernement officiel à Kaboul, sous la médiation de la Russie.
En 2021, lorsque l'offensive finale des talibans sur la capitale afghane a débuté, les relations avec Moscou étaient déjà si bien établies que le 15 août, lorsque les talibans sont entrés à Kaboul sans combattre, le calme régnait à l'ambassade de Russie.
Les talibans ont même pris le bâtiment de la mission diplomatique sous protection.
Mosaïque stratégique de motivations
La décision de reconnaître les talibans n'était pas une impulsion spontanée. Elle est le fruit d'une planification stratégique à long terme fondée sur plusieurs facteurs.
Échiquier d'Asie centrale : La Russie considère l'Afghanistan comme faisant partie intégrante de sa sphère d'intérêt en Asie centrale.
Les événements dans ce pays affectent directement la sécurité de ses alliés, en particulier du Tadjikistan. En juillet dernier, Moscou a annoncé le début des livraisons d'armes à l'Afghanistan dans le cadre de sa stratégie antiterroriste.
Le commerce des armes demeure l'un des principaux instruments de la politique étrangère russe.

Intérêt économique : Malgré des indicateurs actuels modestes – la Russie ne se classe qu'au dixième rang des partenaires commerciaux de l'Afghanistan avec un volume d'importations de 414 millions de dollars – le potentiel est énorme.
Les échanges bilatéraux ont déjà atteint un milliard de dollars, avec un objectif de 3 milliards de dollars pour 2025. Lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg en juin, la Russie a annoncé l'expansion de son marché du travail pour les spécialistes afghans, en exploitant le deuxième élément clé de son influence : la migration de main-d'œuvre.
Se tourner vers le Sud global : Sous la pression des sanctions internationales, la Russie se tourne de plus en plus vers les pays non occidentaux. Les marchés d'Asie du Sud, notamment l'Inde et le Pakistan, sont devenus des importateurs clés de pétrole et de blé russes.
Dans ce contexte, l'Afghanistan constitue un corridor de transit crucial pour les ambitions continentales de Moscou. En avril, la Russie et l'Ouzbékistan ont signé des accords pour le lancement du chemin de fer transafghan.
Concurrence entre grandes puissances : La Russie s'est engagée dans la course à l'influence en Afghanistan et cherche à devenir la principale force extérieure dans les affaires afghanes.
La Chine a été parmi les premières à entreprendre un geste diplomatique envers les talibans : en février 2024, le président Xi Jinping a officiellement accepté les lettres de créance d'un représentant taliban.
Depuis, les entreprises chinoises sont devenues des acteurs majeurs de l'extraction de pétrole, de cuivre et de lithium. Ces succès pourraient avoir incité Moscou à prendre des mesures plus actives.

Effet domino : à qui le tour ?
La reconnaissance de la Russie pourrait radicalement changer l'attitude de la communauté internationale envers l'Afghanistan.
Jusqu'à présent, la plupart des pays ont adopté une position attentiste, mais la démarche russe pourrait déclencher un effet d'entraînement.
L'Ouzbékistan a longtemps été l'une des rares exceptions, menant une diplomatie proactive en direction de l'Afghanistan. Cela est significatif.