C’est le dernier épisode d’un bras de fer entre juges français. Le parquet national antiterroriste (Pnat), via sa section dédiée aux crimes contre l’humanité, souhaite voir l’épouse de l’ancien président rwandais poursuivie. Cependant, selon une ordonnance de non-lieu datée de mercredi, les juges estiment qu’il « n’existe pas de charges suffisantes contre Agathe Kanziga (Habyarimana) pour qu’elle ait pu être complice d’actes de génocide » ou qu’elle ait pu « participer à une entente en vue de commettre le génocide ».
Agathe Habyarimana, surnommée la “veuve noire”, a pourtant été présentée comme l’une des organisatrices du génocide qui a causé 800 000 morts au Rwanda. « À ce jour, Agathe Kanziga apparaît non comme auteure de génocide, mais bien comme une victime de (l’)attentat terroriste » dans lequel son mari, son frère et des proches ont été tués, ajoutent les juges.
L’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion présidentiel a été suivi de massacres visant la minorité tutsi. Depuis 2008, Agathe Habyarimana fait l’objet d’une enquête en France pour complicité de génocide et de crimes contre l’humanité, ouverte après une plainte du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). Ce dernier a annoncé jeudi qu’il ferait probablement appel de cette ordonnance de non-lieu.
Investigations bouclées en 2022
Depuis 2022, le parquet antiterroriste a demandé de nouvelles investigations, puis a saisi la chambre de l’instruction en 2024 après la clôture de l’enquête. Mi-mai 2025, les juges d’instruction ont rendu une ordonnance expliquant pourquoi cette mise en examen n’était pas justifiée. Le Pnat a alors déposé un recours, qui n’a pas encore été examiné. Les deux institutions restent en désaccord, mais la perspective d’un procès semble s’éloigner.
Selon les associations parties civiles, Habyarimana faisait partie des dirigeants de l’« akazu » – le cercle restreint du pouvoir hutu qui aurait orchestré le génocide –, ce qu’elle réfute.
La famille Habyarimana a été exfiltrée par la France
Me Emmanuel Daoud, avocat de la FIDH (Fédération internationale pour les droits humains), estime que « l’implication » de Mme Habyarimana « dans la préparation du plan génocidaire » ainsi que « ses prises de parole après le meurtre de son mari » auraient « dû conduire les juges d’instruction à la renvoyer devant la cour d’assises ».
Devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), chargé de juger les responsables du génocide en Afrique, des témoins présents au palais présidentiel après la mort du président ont affirmé qu’Agathe Habyarimana dictait au téléphone les noms d’opposants à éliminer. Elle aurait, avec plusieurs de ses proches, créé des mois avant le génocide un groupe extrémiste, l’Akazu (« la petite maison »), qui préparait l’extermination des Tutsis.
Agathe Habyarimana a été exfiltrée en Europe avec sa famille le 9 avril 1994, à la demande du président François Mitterrand, proche de son mari. Le Rwanda a demandé son extradition, mais la France a refusé, sans toutefois lui accorder l’asile.