FRANCE
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France : le combat quotidien de Mona et sa famille contre le racisme et l'islamophobie
En pleine heure de déjeuner, le restaurant de Mona est désert. Une scène devenue habituelle pour cette famille qui, depuis cinq ans, fait face à un harcèlement incessant, mêlant racisme et islamophobie.
France : le combat quotidien de Mona et sa famille contre le racisme et l'islamophobie
Depuis l'ouverture du restaurant en 2019, Mona et sa famille subissent des attaques incessantes / TRT Français
9 avril 2025

Mona, originaire d’Alexandrie, en Égypte, est arrivée en France il y a 30 ans. Devenue citoyenne française, elle a consacré sa vie à construire un avenir meilleur pour ses enfants. En 2019, elle ouvre un restaurant à Neuilly-sur-Seine, près de Paris, avec sa famille, dans l’espoir de partager sa passion pour la cuisine française et orientale. Mais dès les débuts, les obstacles se multiplient.


“Certaines personnes m'ont dit qu’une Arabe ne peut pas représenter la cuisine française”, explique Mona, la voix chargée de douleur. Malgré ses six diplômes en cuisine française obtenus dans l'Hexagone, certains clients annulent leurs réservations ou quittent les lieux sans consommer. “Ils veulent manger dans un restaurant français tenu par des Français”, lui ont-ils dit.

Harcèlement et vandalisme : une réalité quotidienne

Depuis l'ouverture du restaurant en 2019, Mona et sa famille subissent des attaques incessantes : vitres brisées à plusieurs reprises, lettres de menaces anonymes, autocollants racistes collés sur les fenêtres. Marlène, la fille de Mona, raconte : “Chaque matin, on retrouvait des stickers insultants sur nos vitres. On a fini par les coller dans un livre tellement il y en avait.” Ces autocollants portaient des messages haineux, tels que “Les Arabes dehors” ou des citations détournées du Coran.

Le harcèlement ne s'arrête pas là. Marlène se souvient d'une agression marquante : “Un homme m’a arraché mon voile dans la rue en me criant dessus. Ça m’a bouleversée.” D'autres clients refusent de payer le prix affiché, sous prétexte qu'ils peuvent “négocier avec une Arabe”. Sur les réseaux sociaux, des commentaires mensongers sont publiés régulièrement pour discréditer le restaurant. “Un jour où nous étions fermés, quelqu’un a écrit que ma mère était devant le restaurant en pyjama, en train de se faire les ongles, alors que ce n’était pas du tout le cas”, raconte Marlène avec indignation.

Les appels anonymes sont également fréquents. “Parfois, le téléphone sonne à deux ou trois heures du matin”, explique-t-elle. Ces appels nocturnes perturbent la tranquillité de la famille et ajoutent au stress quotidien.

Marlène évoque aussi les regards insistants et méprisants de certains clients à cause de son voile. Une situation qui attriste sa mère : “Une fois, une cliente avait plusieurs restes dans son assiette. Quand je lui ai demandé si elle voulait emporter ce qu’il restait, elle m’a répondu : ‘Non, donnez-le à votre fille.’” Ces remarques blessantes sont devenues monnaie courante.

Face à ces attaques répétées, la famille a déposé une plainte en 2020. Mais, constatant que cela n'avait aucun effet sur les harceleurs, ils ont renoncé à engager d'autres démarches judiciaires. “Cela ne sert à rien, c’est une perte de temps”, déplore Marlène.

Un sentiment d’impuissance renforcé par le manque de solutions concrètes pour les aider à développer leur activité. Mona explique avoir déposé plusieurs dossiers pour obtenir une place au marché local afin de promouvoir son restaurant. Malgré ses nombreuses démarches sur une période de 12 ans, elle n’a jamais reçu de réponse positive ni d’explication claire concernant ces refus, ce qui lui laisse un profond sentiment d’abandon.

Un changement de vie pour ses enfants

Avant d’ouvrir son restaurant à Neuilly-sur-Seine, Mona gérait une brasserie dans le quartier de la Madeleine, en plein cœur de Paris. Ce lieu prospérait, situé dans un quartier dynamique où les clients affluaient. Cependant, Mona a pris la décision de vendre ce commerce pour être plus proche de ses enfants. “À l’époque, mes enfants étaient très jeunes et je voulais être présente pour eux”, explique-t-elle. Elle a choisi Neuilly pour sa proximité avec son domicile, espérant pouvoir concilier vie de famille et travail. “Je n’ai pas vu mes enfants grandir à cause du travail. Alors j’ai préféré rester près de chez moi”, confie-t-elle avec émotion. Aujourd’hui, elle regrette cette décision.

À cela s’ajoutent les remarques blessantes qu’elle reçoit régulièrement. “Certains m’ont dit que ma place n’était pas ici, que je devrais aller à Barbès ou dans le 93, à Saint-Denis”, raconte Mona avec amertume. Ces commentaires, souvent postés sur internet ou entendus directement, renforcent son sentiment d’exclusion et d’injustice.

Le harcèlement constant subi par la famille a eu des répercussions directes sur l’activité du restaurant. La clientèle s’est raréfiée au fil du temps : certains jours, aucun couvert n’est servi. “Cette situation nous a fait perdre beaucoup de clients”, confie Mona.

Pour maintenir son commerce à flot, elle a dû vendre deux appartements en Égypte et contracter plusieurs crédits pour couvrir les dépenses courantes. Malgré ces sacrifices financiers, la situation reste critique. Le restaurant est désormais mis en vente pour tenter d’éponger les dettes accumulées.

Une famille soudée malgré tout

Contrairement aux idées reçues qu’elle a pu lire sur internet ou entendre autour d’elle, Mona insiste sur un point essentiel : elle ne cherche ni buzz ni aide financière via une cagnotte. “Je ne veux pas l’argent de qui que ce soit”, affirme-t-elle catégoriquement. Elle précise que ses cinq enfants, ainsi que son mari, l’aident financièrement au quotidien pour maintenir le restaurant ouvert.

D’ailleurs, Marlène travaille dans un autre restaurant et enchaîne les heures supplémentaires pour soutenir ses parents tout en espérant un avenir meilleur : “Je travaille beaucoup pour aider mes parents. Je suis jeune et c’est dur… Je n’ai pas le temps ni les moyens pour des activités ou même pour m’acheter une voiture parce que tout va dans les crédits”, raconte-t-elle, émue. Malgré ces sacrifices personnels, elle reste optimiste : “Tant que j’aide mes parents, c’est tout ce qui compte… Dieu me rendra cela un jour”, ajoute-t-elle avec foi.

À bout de forces et épuisée financièrement, Mona a pris une décision difficile : mettre son restaurant en vente. “Je veux juste payer mes dettes et retrouver un peu de paix”, explique-t-elle avec amertume avant d’ajouter : “J’ai tout perdu : mes appartements en Égypte, l’argent de mes enfants et celui de mon mari… Tout ce que nous avions construit est parti dans ce projet qui devait être notre rêve, mais qui est devenu un cauchemar.”

Elle conclut néanmoins avec détermination : “Je veux juste travailler et vivre dignement dans mon pays.”

 


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