Branle-bas de combat. Depuis l’adoption, le 20 avril, en Conseil des ministres, du projet de loi relatif à la mobilisation générale, prévue par l'article 99 de la Constitution, l'hypothèse du déclenchement d’un éventuel conflit armé en Algérie est sérieusement envisagée. Cet article stipule que “le Haut Conseil de sécurité entendu, le président du conseil de la nation et le président de l'Assemblée populaire nationale consultés, le président de la République décrète la mobilisation générale en conseil des ministres.”
L’annonce, rendue publique sous forme de communiqué officiel, a été suivie, quelques jours après, d'une présentation détaillée du projet de loi par le ministre de la Justice et garde des Sceaux, Lotfi Boudjemaa. Les observateurs les plus aguerris établissent un lien immédiat avec les tensions régionales, notamment la montée de crispations entre Alger et Bamako, survenue après la destruction d’un drone malien par l’aviation algérienne dans une zone frontalière du sud extrême du pays. Cette lecture s’inscrit aussi dans un climat marqué par la multiplication des déclarations d’officiels, civils comme militaires, alertant sur les “dangers qui cernent l’Algérie” et appelant à “resserrer les rangs face aux menaces extérieures”.
L’Algérie évolue en effet dans un environnement régional instable : crises au Sahel, terrorisme persistant au Mali et au Niger, tensions avec le Maroc autour du Sahara occidental, et incertitudes en Libye. Ces défis justifient, selon le gouvernement, une modernisation de l’appareil défensif. Le pays garde en mémoire la décennie noire (1991-2002), qui a renforcé sa sensibilité aux risques sécuritaires.
Tewfik Hamel, chercheur en géostratégie et en études de défense, explique au micro de TRT Français que cette loi n’équivaut pas à une déclaration de guerre, mais s’inscrit dans une logique de souveraineté et de modernisation militaire. Selon l’expert, ce dispositif s’insère dans une “volonté de dissuasion”, inspirée de doctrines similaires en Suisse, où la préparation civico-militaire est centrale. Elle répond aussi aux ambitions du président Abdelmadjid Tebboune de réformer l’armée dont le budget annuel est de 23 milliards de dollars.
Un déclenchement sous contrôle présidentiel
La mobilisation générale ne peut être activée que par le président, après consultation du Haut Conseil de Sécurité (HCS) et du Parlement. Cette procédure inclut une évaluation “précise des menaces”, selon Hamel. Le texte prévoit l’intégration des anciens militaires, réservistes, et professionnels stratégiques (médecins, ingénieurs) dans l’effort de défense. Une base de données des réservistes serait d’ailleurs en cours de recensement. Une mesure qui rappelle le modèle suisse, où les réservistes jouent un rôle clé en cas de crise. Les wilayas (préfectures), entreprises publiques/privées et ministères (Santé, Énergie) devront collaborer avec l’armée. Pour Hamel, cette “intégration horizontale” est cruciale pour protéger les infrastructures critiques. Cependant, des experts comme Ahmed Henni, économiste, s’interrogent sur la capacité de l’administration algérienne à gérer cette coordination, évoquant des “lourdeurs bureaucratiques”.
Les secteurs de l’énergie (principalement gazier), des transports et de la santé sont priorisés. L’Algérie, 3ᵉ exportateur de gaz vers l’Europe, ne peut se permettre des perturbations. Des exercices interarmées simuleraient déjà des attaques sur ces cibles, selon des sources militaires citées par TSA Algérie.
Réquisitions économiques : un cadre exceptionnel
L’État pourra réquisitionner biens et personnels, une mesure présente dans nombre de législations d’urgence.
Contrairement à certaines craintes, la loi n’est pas active. Son adoption définitive nécessite l’approbation du Conseil de la Nation (Sénat). Ensuite, seul un décret présidentiel, justifié par une “menace avérée”, la déclencherait. Actuellement, les préparatifs incluent le recensement des 150 000 réservistes (chiffres du ministère de la Défense), des exercices militaires simulant une cyberattaque et l’identification des ressources stratégiques, notamment dans les hydrocarbures.
Pour Hamel, la loi est un “message aux voisins”, notamment au “Maroc”, avec qui les tensions persistent.
“La mobilisation générale n'est pas synonyme de guerre”
La Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH) craint des “dérives autoritaires”, rappelant l’état d’urgence en vigueur jusqu’en 2011, mais le gouvernement rétorque que des garde-fous juridiques existent. Afin d’atténuer les inquiétudes de la population, l'ex-général-major Abdelaziz Medjahed, ancien conseiller défense du président Tebboune, a déclaré à la presse algérienne que “la mobilisation générale n'est pas synonyme de guerre, mais d'organisation collective, de solidarité et de résilience face à toutes sortes de défis”.
Mercredi 30 avril, le contenu de ce projet de loi a été dévoilé par le ministre de la Justice et garde des Sceaux, Lotfi Boudjemaa, devant la commission des Affaires juridiques, administratives et des libertés du Parlement.
Le texte législatif, qui contient 69 articles, précise deux circonstances justifiant la proclamation de la mobilisation générale en Algérie : le premier est quand “le pays est confronté à un péril imminent susceptible de porter atteinte à ses institutions constitutionnelles, à son indépendance ou à son intégrité territoriale”. Le second cas est une “agression effective ou imminente, conformément aux dispositions prévues par la Constitution”.
En résumé, ce dispositif illustre la volonté algérienne de répondre à un environnement imprévisible, sans basculer immédiatement dans le conflit. Si elle renforce théoriquement la résilience nationale, l'Algérie vise à réunir les conditions de sa mise en œuvre et de l’équilibre entre sécurité et droits civils. Tewfik Hamel le souligne : “L’Algérie ne cherche pas la guerre, mais se donne les moyens de ne pas la subir”.