Charismatique et inventifs, les influenceurs d’extrême droite exercent une fascination croissante sur une partie de la jeunesse française.
Ils s’appellent Jarl, Thaïs d’Escufon, Papacito, Mila ou encore Julien Roschedy. Ils sont photogéniques et habiles dans l'art de la rhétorique. Leurs discours, bien que souvent schématiques, font office de catalyseur pour l’angoisse identitaire d’une jeunesse peu politisée. Portés par la droitisation de la société, ces tribuns 2.0 font constamment référence à la “décadence occidentale” et à la “supériorité des valeurs traditionnelles” blanches et chrétiennes. Leurs cibles privilégiées sont, pêle-mêle, les féministes, les wokistes, les décoloniaux et surtout les immigrés.
Papacito, par exemple, qualifie régulièrement le féminisme de “cancer sociétal” et évoque une “invasion de sangliers” pour dépeindre l’immigration. Thaïs d’Escufon, elle, promeut une vision essentialiste des rôles genrés, affirmant que “la femme doit retrouver sa place naturelle au foyer”. Julien Rochedy, ancien responsable du Front National, fustige quant à lui le “wokisme” qu’il qualifie d’“idéologie mortifère pour la France”.
Ces leaders populistes d’un genre nouveau se distinguent par une rhétorique incisive et un humour provocateur. Leur recours systématique à des références puisées dans la culture populaire renforce leur ancrage auprès d’une jeunesse en quête de contre-modèles. Comme le souligne Nicolas Baygert, expert en communication politique, ces figures “mobilisent les ressorts symboliques de l’univers digital pour fédérer un public en rupture avec l’offre éditoriale traditionnelle”.

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Un rapprochement avec les partis d’extrême-droite
Proches des partis d’extrême-droite, ces néo-réactionnaires digitalisés privilégient néanmoins la “métapolitique”, jugée plus efficace et surtout plus rentable. Bien que leurs parcours soient très éclectiques, ils suscitent tous un attrait puissant auprès de certains responsables politiques, notamment le président de Reconquête, Éric Zemmour, qui s’était rapproché de Papacito lors de sa dernière campagne présidentielle. L’ancien chroniqueur de Cnews a tenté par ailleurs de recruter l’influenceuse islamophobe Mila, qu’il a récemment conviée à s’exprimer lors de l’université d’été de son parti à Orange.
À l’origine d’une attaque d’une “Free party” antifasciste à Rennes dans la nuit du 9 mars, le vidéaste nationaliste Le Jarl est une autre étoile montante de la fachosphère. Lui aussi poche du l’auteur du Suicide français, Yovan Delourme, de son vrai nom, surnommé “Jarl”, un pseudonyme dérivé du terme scandinave désignant un “chef de guerre”, est rapidement devenu une figure incontournable de la mouvance d’extrême droite sur Internet. À la tête d’une milice, il s’est fait connaître par des vidéos où il exalte la violence comme unique réponse aux tensions sociales et politiques. Son discours agressif, mêlant rhétorique guerrière et appels à l’affrontement, cristallise une idéologie fondée sur la confrontation. En 2022, son ancrage dans les sphères nationalistes s’est renforcé lorsqu’il est devenu suppléant d’un candidat du parti Reconquête aux législatives, marquant son entrée dans l’arène politique tout en prolongeant son activisme médiatique.

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Papacito, « l’ami d’Eric Zemmour »
Ancien vidéaste humoristique, Papacito s’est radicalisé en ligne, en adoptant une rhétorique anti-immigration, anti-féministe et anti-woke. Ses vidéos mêlent théories du complot et nationalisme et visent, selon lui, à “réveiller les Français” contre “le désastre de l’islamisation”.
Ex-porte-parole de l’association xénophobe aujourd’hui dissoute, Génération Identitaire, Thaïs d’Escufon, influenceuse traditionaliste, séduit de son côté un public jeune en défendant un conservatisme catholique sur internet. Elle attaque de manière obsessionnelle le féminisme et les LGBTQ+. Elle dénonce sans la moindre nuance ce qu’elle qualifie de “société dégénérée”.
L’autre influenceur xénophobe qui monte, Julien Rochedy, ex-chef de la jeunesse du Front National, reconverti en essayiste et conférencier, dirige une chaîne Youtube très suivie. Il y promeut un masculinisme réactionnaire et un retour aux “racines européennes”, en s’appuyant sur des références philosophiques détournées.
Ces soldats de “ l’internationale réactionnaire” ont par ailleurs un autre point commun : le recours à un langage crypté pour échapper aux contrôles des plateformes. Papacito parle ainsi de “grand remplacement” en utilisant des métaphores de jeux-vidéos comme “respawn de la France” (se réapproprier la France), tandis que Thaïs d’Escufon évoque la “réhabilitation des vertus féminines” pour critiquer l’émancipation des femmes. Julien Rochedy, plus intellectualisé, emprunte à la philosophie pour légitimer ses thèses, comparant le wokisme à un “totalitarisme mou”.
Si YouTube et ses concurrents tentent de restreindre leurs discours haineux via des politiques de modération, ces créateurs ont perfectionné des tactiques de contournement sophistiquées. Ils substituent donc aux termes prohibés une sémantique cryptée, des sous-entendus ironiques ou des références culturelles opaques pour les non-initiés, préservant ainsi la diffusion de leurs idées tout en esquivant les sanctions. Même si le compte YouTube de Papacito a été supprimé suite à des signalements – épisode demeurant marginal – l’essentiel de la production de ses comparses échappe pour l’instant à la censure grâce à cette rhétorique brouillée, transformant l’ambiguïté discursive en bouclier contre la censure.
Malgré la suppression de son compte Youtube, Papacito reste indéniablement le porte-voix le plus emblématique et le plus doué de cette mouvance. Il revendique une posture de “contre Canal+”, positionnant ses contenus comme une alternative divertissante, mais outrageusement orientée. Il mêle satire et promotion de valeurs ultra réactionnaires, en intégrant des éléments de la pop culture à une narration nationaliste et raciste. Il avait par exemple affirmé dans une de ses vidéos, qu’une “société sans blancs, c’est de la merde !”
D’indéniables leaders d’opinion
L’analyse sociologique de leur audience révèle un public majoritairement composé de jeunes adultes éloignés des enjeux politiques institutionnels. Pascal Ricaud, chercheur en sciences sociales, relève effectivement que “ces spectateurs, souvent dotés d’un capital culturel limité, adoptent parfois ces discours sans exercer de regard critique”. Julien Giry, spécialiste en sciences politiques, abonde dans le même sens. “L’attrait pour le sensationnalisme et la viralité prime sur une adhésion raisonnée aux thèses défendues”, traduisant une consommation médiatique davantage émotionnelle que réflexive.
Romain Badouard, chercheur en sciences de l’information, relève dans La Haine en ligne (CNRS Éditions) que les influenceurs d’extrême-droite “créent une connivence culturelle en détournant les codes de la pop culture, ce qui désamorce la critique et rend leurs propos plus digestes”. Cette approche, qualifiée de “métapolitique 2.0” par le sociologue Antoine Bevort, vise à infiltrer l’imaginaire collectif en contournant les institutions traditionnelles, ciblant une jeunesse souvent en rupture avec les partis politiques classiques.
L’impact de ces stratégies dépasse le simple divertissement. Une étude de l’INA de 2023 révèle que 42 % des 18-24 ans ayant consommé ce type de contenus expriment une défiance accrue envers les médias traditionnels et privilégient les partis d’extrême-droite lors des élections nationales. La chercheuse en sciences politiques Valérie Igounet note que “ces influenceurs jouent sur le ressentiment social, présentant l’extrême droite comme une contre-culture rebelle”. Cette dynamique est renforcée par les algorithmes, qui, selon une enquête de Mediapart, amplifient les contenus polémiques via les recommandations automatiques. “La viralité l’emporte sur la véracité, et l’engagement émotionnel prime sur l’analyse critique”, déplore Nikos Smyrnaios, professeur en communication numérique.
En instrumentalisant les questionnements identitaires des jeunes, ces influenceurs offrent une grille de lecture manichéenne du monde, où la complexité des enjeux sociaux est réduite à des guerres culturelles. Ils répondent ainsi à un besoin de certitudes simplistes dans un contexte de précarité économique et d’atomisation sociale. Une alchimie qui permet à l’extrême droite de se réinventer en avant-garde éclairée.