Par Dwomoh-Doyen Benjamin
Ils traversent les frontières sous le couvert de la nuit ou déguisés en plein jour, avec des camions chargés de sucre, d'huile, de riz, de produits pharmaceutiques et d'autres marchandises, échappant aux contrôles douaniers et aux obligations fiscales.
Il ne s'agit pas simplement d'affaires clandestines ; ces activités représentent une hémorragie de plusieurs milliards de dollars pour les économies africaines, un facteur déstabilisant qui sape les entreprises locales et un contributeur silencieux à la fragilité des États.
La contrebande de marchandises, en particulier à travers les frontières poreuses de l'Afrique de l'Ouest, est une activité organisée et corrosive qui menace la souveraineté économique et la sécurité du continent.
Au Ghana, où la Chambre Africaine des Producteurs de Contenu (ACCP) mène une campagne de sensibilisation contre la contrebande, les conséquences sont alarmantes.
Les importateurs légitimes peinent à survivre. Certains investisseurs, initialement convaincus d'apporter des capitaux et des emplois dans le pays, se retirent, invoquant une concurrence déloyale et un environnement politique inadapté ou en difficile face au commerce illicite.
Les pertes économiques
Une estimation récente de l'Autorité fiscale du Ghana suggère que le pays perd plus de 10 milliards de GHS (720 millions de dollars) par an à cause de la contrebande. Cette somme pourrait financer des infrastructures essentielles, des programmes de santé ou d'éducation.
Mais ce problème ne concerne pas uniquement le Ghana.
Partout en Afrique, des réseaux de contrebande exploitent des institutions faibles, des systèmes corrompus et des frontières poreuses pour construire des économies parallèles.
Ils créent des marchés noirs où des produits non réglementés, souvent de qualité inférieure ou même dangereux, sont vendus à des consommateurs non avertis.
Dans de nombreux cas, ces marchandises de contrebande concurrencent les producteurs et importateurs locaux, les poussant à la faillite et érodant l'économie formelle.
Selon un rapport de la Banque Africaine de Développement, les pays africains perdent entre 30 et 50 milliards de dollars par an à cause du commerce illicite et de la contrebande.
Des emplois sont perdus, les recettes fiscales disparaissent et la confiance dans le système s'érode.
L'impact à long terme est dévastateur : moins d'investissements, un chômage accru et un écart croissant entre les objectifs de développement national et les résultats réels.
En mars 2025, le Secrétariat de Gestion des Frontières du Kenya et le Ministère de l'Agriculture ont rapporté que 2 000 tonnes métriques de sucre avaient été introduites en contrebande dans le pays via des camions et de petits véhicules.
Ils ont averti que les communautés locales consomment des produits de qualité inférieure, qui présentent des risques pour la santé et ne répondent pas aux normes du Bureau des Normes du Kenya.
Risques pour la sécurité
Des tests effectués par des chimistes gouvernementaux ont confirmé que le sucre de contrebande saisi contenait du mercure et du cuivre.
Depuis 2018, le Secrétaire du Cabinet de l'Intérieur, Fred Matiangi, a exprimé des inquiétudes sur le fait que des millions de Kényans pourraient avoir consommé du sucre toxique déguisé en marques locales.
Des préoccupations similaires ont été soulevées concernant l'impact de la contrebande dans plusieurs pays africains.
Pire encore, la contrebande de marchandises n'est pas menée par des commerçants désespérés ; elle est en grande partie orchestrée par des cartels criminels disposant de vastes ressources financières et de connexions à haut niveau.
Ces réseaux blanchissent de l'argent, contournent les sanctions et utilisent souvent leurs profits pour financer d'autres commerces illicites, y compris le trafic d'armes et d'êtres humains.
La crise de la contrebande devient ainsi une menace pour la sécurité nationale, et pas seulement un problème économique.
Les principales marchandises introduites en contrebande à travers les frontières africaines (carburant, sucre, huile de cuisson, produits pharmaceutiques et riz) sont souvent transportées par des réseaux hautement organisés qui exploitent des frontières poreuses, une application réglementaire faible et le clientélisme politique.
Selon ENACT Africa, le pétrole de contrebande provenant du Nigeria serait transporté via le Cameroun vers des forces rebelles en République Centrafricaine, le Nigeria perdant environ 1,5 milliard de dollars par mois à cause de la contrebande de pétrole.
Un rapport de Reuters de 2015 indiquait également que le groupe terroriste Al-Shabaab génère environ 1,9 million de dollars par an grâce à la contrebande de sucre via le camp de réfugiés de Dadaab au Kenya.
Selon ce rapport, cette estimation repose uniquement sur la route de Dadaab et n'inclut pas d'autres routes de contrebande telles que Garissa et Wajir. Le montant total pourrait être encore plus élevé.
Les effets d'entraînement sont profonds. Outre les risques sanitaires croissants pour les Africains, les revenus de la contrebande financent le terrorisme.
De même, les gouvernements africains perdent des taxes à cause de la contrebande et se tournent souvent vers des emprunts extérieurs, ce qui augmente la dette nationale et freine les investissements publics.
Selon le Fonds Monétaire International, la dette extérieure des pays d'Afrique subsaharienne a atteint 702 milliards de dollars en 2021, une part importante étant attribuée aux revenus perdus à cause d'activités illicites telles que la contrebande.
La contrebande déforme également les objectifs commerciaux et de développement.
Les industries locales, déjà contraintes par des coûts d'exploitation élevés et des infrastructures médiocres, sont étouffées par une concurrence déloyale.
Au Ghana, par exemple, plusieurs entreprises de transformation d'huile de palme ont licencié des travailleurs ou fermé complètement en raison de l'afflux d'alternatives de contrebande, à bas coût et souvent frelatées.
Des réformes drastiques nécessaires
Selon l'Association Nigériane pour le Développement du Riz (NRDA), le secteur national de la transformation du riz perd plus de 300 millions de dollars de revenus potentiels chaque année à cause de la contrebande, sapant les efforts du gouvernement pour atteindre l'autosuffisance agricole.
Lorsque des entreprises sont contraintes de fermer ou de réduire leurs activités en raison d'une concurrence déloyale, les jeunes, déjà désespérés de trouver un emploi, se retrouvent avec encore moins d'opportunités.
La Banque Mondiale estime que le chômage des jeunes en Afrique approche les 60 %, un chiffre alarmant qui souligne l'urgence de réformes économiques et d'une fin immédiate au commerce illicite.
Si rien de drastique n'est fait immédiatement, la situation alimentera le désenchantement au fil du temps, et des communautés entières seront marginalisées de l'activité économique.
La Chambre Africaine des Producteurs de Contenu (ACCP), à travers sa campagne anti-contrebande en cours au Ghana et à travers l'Afrique, sensibilise et mobilise la société civile, les associations de marché et les décideurs politiques.
Trahison des travailleurs
À travers des interviews publiques et du journalisme d'investigation, l'ACCP est déterminée à lever le voile de silence entourant la contrebande.
Mais elle ne peut pas agir seule. Les gouvernements doivent renforcer la surveillance des frontières, appliquer les réglementations douanières et faire rendre compte aux responsables complices.
Les organismes régionaux et la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) doivent aller au-delà de la facilitation du commerce et investir conjointement dans le renseignement de sécurité, des systèmes tarifaires harmonisés et des forces régionales de lutte contre la contrebande.
Les consommateurs, commerçants et leaders communautaires doivent être habilités à détecter et signaler les marchandises illicites.
L'avenir de l'Afrique dépend de marchés transparents, inclusifs et fondés sur des règles.
Chaque sac de sucre de contrebande, chaque jerricane d'huile illicite, chaque carton de riz non taxé, n'est pas seulement une taxe manquée, c'est une opportunité volée à un travailleur africain, une trahison des objectifs d'industrialisation et une menace pour la stabilité démocratique.
Le moment d'agir, c’est maintenant. La contrebande de marchandises n'est pas invisible.
Elle est partout autour de nous, dépouillant nos nations. Et à moins de l'affronter avec courage, coordination et intégrité, nous continuerons à perdre à la fois de l'argent et des vies.
L'auteur, Dwomoh-Doyen Benjamin, est le Directeur Exécutif de la Chambre Africaine des Producteurs de Contenu (ACCP).
Avertissement : Les opinions exprimées par l'auteur ne reflètent pas nécessairement les opinions, points de vue et politiques éditoriales de TRT Afrika.