Par Lamine Traoré
Le gouvernement burkinabè a adopté en février dernier, la loi portant statut de la chefferie coutumière et traditionnelle au Burkina Faso.
Cette loi permettra de régir "l’une des plus anciennes institutions de notre histoire" qui a été impliquée dans la résolution de plusieurs crises traversées par le pays, avait déclaré le ministre de l’Administration du territoire Emile Zerbo.
Cette loi vient clairement fixer le rôle et la fonction de la chefferie traditionnelle et l’intègre dans l'ordonnancement juridique de notre pays.
"Il permet de revaloriser la chefferie coutumière et traditionnelle afin de participer à la consolidation de la paix au Burkina Faso. Le texte prévoit aussi les modes de dévolution de la chefferie traditionnelle", avait indiqué le ministre Zerbo rappelant que la loi en question interdit et sanctionne l'auto-proclamation.
Pas d’émoluments financiers
Un autre point important : la loi ne prévoit aucune rémunération pour les chefs coutumiers et/ou traditionnels et exige de ces acteurs la démission s’ils veulent s’engager en politique.
"C'est un texte qui permet aux chefs coutumiers et traditionnels de jouer le rôle que nous avons toujours voulu au Burkina Faso, c'est-à-dire des chefs qui rassemblent les populations et consolident la paix", avait précisé Zerbo.
La décision du gouvernement est diversement appréciée.
"La décision en elle-même est une bonne décision seulement il fallait trouver le moyen de le faire de concert avec les coutumiers pour éviter des rebondissements futurs", a déclaré à TRT Afrika français Naaba Sebgo, un chef coutumier de Zitenga, une bourgade de la région du Plateau-Central.
Il explique que la chefferie traditionnelle est la première institution politique au Burkina Faso.
"Dire que les chefs coutumiers ne doivent pas faire la politique, c’est oublier que la chefferie traditionnelle est en elle-même la première politique avant cette politique coloniale que nous connaissons aujourd’hui. Quand vous prenez le Mogho Naaba (NDLR 37e empereur des mossés, l’ethnie majoritaire au Burkina Faso), vous trouverez qu’il a ses ministres, ses gouverneurs, ses délégués de village. Il a tout, bien avant l’arrivée du colon", explique ce chef traditionnel.
Pas de politiques partisanes
Aujourd’hui vouloir faire la politique sans cette structure, poursuit-il, c’est un peu difficile.
"Mais c’est possible si de concert avec les hauts responsables des chefs coutumiers, le gouvernement s’assoit et décide de la manière d’impliquer la chefferie coutumière à la gestion de la cité. C’est-à-dire dans les instances décisionnelles, trouver des moyens de les faire participer. Que leur voix participe aussi à la construction de la nation, au débat national, par exemple à l’assemblée nationale. Qu’il y ait un quota qui puisse permettre aux chefs coutumiers de participer au débat", affirme Naaba Sebgo.
"Cela peut amener des dysfonctionnements sur la scène politique. Si le gouvernement peut revoir cela ça va être intéressant. Voir comment la chefferie coutumière peut participer au débat national sans passer par la voix des politiciens", a-t-il suggéré.
Il explique que les chefs coutumiers ont été utilisés par les politiciens dans le passé. Ils ont été associés à des événements politiques, des meetings politiques au profit de ces mêmes acteurs politiques.
"Si on peut corriger cela en les écartant de la lutte politique et trouver le moyen pour qu’ils puissent contribuer, c’est une bonne chose", soulignant que derrière ces chefs coutumiers, il y a tout un grand monde.
Un texte longtemps attendu
Pour d’autres observateurs, l’adoption de ce statut de la chefferie coutumière est l’aboutissement d’une longue attente.
"Quand on parle du statut de la chefferie coutumière au Burkina Faso, il faut dire qu’il y avait des premiers jets et aujourd’hui nous constatons l’aboutissement d’une attente qui n’a fait que trop durer. Nous saluons le régime en place pour cette vision et ce projet", a déclaré Edmond Djiguimkoudré, traditionaliste et expert des questions coutumières.
Il déplore que la loi ne permet pas aux chefs coutumiers de faire la politique.
"Aujourd’hui, les chefs coutumiers qui ont pu gérer le pays avant qu’il ne devienne la Haute-Volta et par la suite Burkina Faso, je crois que leur rôle régalien, c’est la politique. La politique dans son vrai sens du terme. La politique ce n’est rien d’autre que la gestion de la cité. C’est ce rôle que les chefs coutumiers menaient depuis bien longtemps", a-t-il rappelé ajoutant que nul ne peut prendre le bonnet d’un chef, si ce n’est le chef qui a donné le bonnet.
Des points encore à améliorer
"Si le Mogho Naaba te donnes un bonnet, il appartient à lui seul de pouvoir te retirer le bonnet. Et généralement, on meurt avec son bonnet sauf s’il y a une faute majeure ou une quelconque situation", a fait savoir le spécialiste.
"Cette mission n’est pas dévolue à un régime politique ou administratif. Il va falloir qu’on revoit. Nous allons toujours attendre pour voir ce qui serait le contenu réel de ce qui serait ce statut pour les chefs coutumiers au Burkina Faso", a noté Djiguimkoudré.
Le traditionaliste regrette la non rémunération des chefs coutumiers.
"Quand nous regardons ailleurs tels le Ghana et certains pays, il y a un émolument qu’on reverse à certains chefs. Si au Burkina Faso on dit que les chefs coutumiers ne seront pas rémunérés, pour moi il faudrait aussi revoir ça", a-t-il conclut en saluant les autorités pour l’adoption du statut qui est un progrès même si "nous restons sur notre soif".