Plusieurs journalistes de l’agence Reuters ont récemment exprimé leurs préoccupations face à ce qu’ils perçoivent comme un biais pro-israélien dans la couverture médiatique de l’offensive israélienne à Gaza.
Selon le média Declassified, des employés de Reuters, souhaitant rester anonymes pour éviter des représailles, ont mené une analyse interne approfondie de 499 articles publiés entre le 7 octobre et le 14 novembre 2023. Cette étude portait sur la couverture de l’offensive israélienne à Gaza.
Les résultats de cette analyse révèlent une répartition disproportionnée des ressources journalistiques, davantage orientées vers les événements touchant les Israéliens que les Palestiniens.
Les journalistes ont également souligné que la gravité des pertes humaines à Gaza n’était pas reflétée dans la couverture médiatique. À cette période, plus de 11 000 Palestiniens avaient été tués, soit environ dix fois plus que le nombre de victimes israéliennes. Depuis, selon le ministère de la Santé de Gaza, le bilan a dépassé les 62 000 morts, bien que des estimations suggèrent que ce chiffre pourrait être trois fois plus élevé.
Les journalistes ont également critiqué l’usage limité de certains termes comme “génocide” et l’interdiction d’utiliser le mot “Palestine” dans les titres ou articles.
“Leader du Hamas”
Un exemple marquant est survenu lorsque Israël a assassiné le journaliste palestinien Anas al-Sharif en août 2024. Reuters a publié un article intitulé : “Israël tue un journaliste d’Al Jazeera qu’il qualifie de leader du Hamas”. Ce titre a été choisi malgré le fait qu’al-Sharif ait travaillé pour Reuters et faisait partie de l’équipe ayant remporté un prix Pulitzer en 2024.
Ces choix éditoriaux, selon les journalistes, contribuent à une représentation asymétrique de la réalité sur le terrain. En réponse à cette situation, un groupe de journalistes a rédigé une lettre ouverte à la direction de Reuters, appelant à respecter les principes fondamentaux du journalisme dans la couverture de Gaza.
Certains employés ont affirmé que la direction “étouffait activement les critiques” et qu’un changement au sommet semblait improbable. Un rédacteur a même démissionné en août 2024, déclarant dans un email : “En couvrant ce que nous appelons la guerre Israël-Hamas, j’ai réalisé que mes valeurs ne correspondent pas à celles de l’entreprise.”
En mai 2024, Reuters a mis à jour son guide de style, autorisant l’utilisation du mot “génocide” avec attribution, tout en limitant encore l’usage du terme “Palestine” aux références historiques allant de l’antiquité à 1948. Cependant, une analyse de Declassified sur 300 articles publiés entre le 21 juin et le 7 août 2024 montre que le mot “génocide” n’a été utilisé que dans 14 articles, et presque toujours accompagné d’un déni israélien.
“Déni du génocide”
Les journalistes critiquent également l’usage systématique de termes comme “guerre”, “campagne”, “conflit”, “escalade” ou “assaut”, qui, selon eux, minimisent la gravité des crimes commis contre les Palestiniens. En comparaison, ces précautions ne sont pas appliquées à d’autres conflits ou acteurs militaires, comme les forces soutenues par les Émirats au Soudan ou la Russie.
L’étude interne souligne également l’absence de traitement sur des sujets tels que l’implication des États-Unis et d’Israël dans le blocage des négociations de cessez-le-feu, le colonialisme israélien, les politiques d’apartheid, ou encore l’étendue des destructions en Palestine.
Par exemple, la mise à jour du guide de style du 27 mai 2024 ne mentionne pas l’estimation de The Lancet selon laquelle jusqu’à 186 000 morts ou plus pourraient être attribuables à l’offensive israélienne à Gaza, ni le fait que l’enclave palestinienne est devenue la zone de conflit la plus meurtrière pour les journalistes depuis la guerre civile américaine de 1861.
Cette approche a été qualifiée de “déni du génocide” par des spécialistes et journalistes, dont Dr Assal Rad, historienne du Moyen-Orient, et Gideon Levy, journaliste israélien.
Selon eux, présenter les atrocités israéliennes comme une “guerre” ou une “campagne militaire” masque l’ampleur du génocide et des crimes contre l’humanité commis.
Interrogée par Declassified, la direction de Reuters a affirmé que l’agence considère sa couverture “juste et impartiale, conformément aux principes de confiance Thomson Reuters”, tout en reconnaissant que la couverture de l’offensive israélienne a été examinée de près, y compris par ses propres journalistes, et qu’elle a reçu des retours de multiples sources.