Par Pauline Odhiambo
Le Dr Mamadou Diop n’oubliera jamais le jour où une grand-mère d’une soixantaine d’années est entrée dans sa clinique, s’accrochant au bras de son petit-fils pour avancer pas à pas.
Ses paupières s’étaient retournées vers l’intérieur, ses cils frottant contre ses cornées à chaque clignement.
« Ce moment où elle m’a dit : ‘Je ne peux plus voir le visage de mes petits-enfants’ m’a profondément marqué. Le trachome ne se contente pas d’ôter la vue ; il prive de dignité, d’indépendance et de joie de vivre », raconte le Dr Diop, ophtalmologue dans la région rurale de Matam, au Sénégal.
De telles histoires déchirantes sur le trachome, une infection bactérienne causant une cécité irréversible, étaient monnaie courante au Sénégal pendant des décennies. Heureusement, cette époque est révolue.
Le 15 juillet, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a officiellement validé que le Sénégal avait éradiqué le trachome en tant que problème de santé publique, marquant ainsi la fin d’un fléau qui sévissait dans ce pays d’Afrique de l’Ouest depuis le début des années 1900.
Le Sénégal rejoint ainsi 24 autres pays, dont le Bénin, le Ghana, le Mali et la Mauritanie, qui ont éliminé le trachome.
Foyers de la maladie
Le trachome s’était enraciné au Sénégal lorsque des enquêtes dans les années 1980 et 1990 ont confirmé qu’il était la principale cause de cécité évitable.
La maladie était endémique dans des communautés reculées et défavorisées où même les besoins de base étaient difficiles à satisfaire.
« C’était une maladie de la pauvreté », explique le Dr Ibrahima Sy, ministre de la Santé et de l’Action sociale du Sénégal. « Elle prospérait là où l’eau potable était rare, où il était difficile de maintenir une bonne hygiène et où l’accès aux soins de santé était limité. »
Le tournant est survenu en 1998, lorsque le Sénégal a rejoint l’Alliance de l’OMS pour l’élimination mondiale du trachome.
Le pays a lancé une campagne systématique basée sur la stratégie « CHANCE » (SAFE en anglais) de l’OMS, comprenant des interventions chirurgicales pour les cas avancés, des antibiotiques pour stopper la transmission, la promotion de la propreté du visage et des améliorations environnementales, notamment l’accès à l’eau potable et à l’assainissement.
Campagne porte-à-porte
En deux décennies, les médecins au Sénégal ont traité 2,8 millions de personnes dans 24 districts, réalisé des milliers de chirurgies sauvant la vue et distribué l’antibiotique azithromycine grâce à l’Initiative internationale contre le trachome.
Des agents de santé comme Sœur Marie Ndiaye, infirmière dans la région de Kédougou, ont été les soldats de première ligne de cette bataille acharnée pour apporter des soins et sensibiliser chaque foyer au trachome.

« Nous sommes allés de porte en porte, expliquant comment se laver régulièrement le visage et utiliser de l’eau propre pouvait préserver la vue », raconte-t-elle à TRT Afrika. « Au début, certains étaient réticents. Mais lorsqu’ils ont vu leurs voisins retrouver la vue après une opération, la confiance en nous a grandi. »
Les enfants ont cessé de manquer l’école à cause d’infections oculaires. Les adultes ont pu travailler et subvenir aux besoins de leurs familles sans la menace d’une cécité imminente.
« Il s’agit de restaurer l’avenir », déclare le Dr Jean-Marie Vianny Yameogo, représentant de l’OMS au Sénégal. « L’ombre du trachome s’est dissipée grâce aux efforts inlassables des communautés, des agents de santé et des dirigeants qui ont refusé de l’accepter comme une fatalité. »
Défi mondial
Alors que le Sénégal célèbre cette étape importante – le pays avait déjà éliminé la dracunculose, ou maladie du ver de Guinée – la lutte mondiale contre le trachome est loin d’être terminée.
La maladie menace encore 103 millions de personnes dans 32 pays, avec 90 % des cas concentrés en Afrique.
La bonne nouvelle est que depuis 2014, le nombre de personnes nécessitant un traitement en Afrique a diminué de 51 %, passant de 189 millions à 93 millions.
« Alors que nous célébrons notre victoire contre le trachome, 21 ans après avoir vaincu la dracunculose, cela prouve qu’avec une volonté politique, l’engagement communautaire et des partenariats solides, nous pouvons éliminer les maladies tropicales négligées », affirme le ministre de la Santé, Dr Sy.
Le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, considère la réussite du Sénégal comme un modèle à suivre. « Cela montre qu’avec des efforts soutenus, même des maladies anciennes peuvent être vaincues. »
Le Sénégal se concentre désormais sur d’autres menaces pour la santé publique, comme la maladie du sommeil, une maladie parasitaire transmise par la mouche tsé-tsé, et l’onchocercose, causée par le ver parasite Onchocerca volvulus.
Pour le Dr Diop, les souvenirs de la grand-mère qui ne pouvait plus voir le visage de ses petits-enfants apportent une touche de regret.
« J’aurais aimé que ma patiente puisse voir ce jour », confie-t-il à TRT Afrika. « Mais sa souffrance n’a pas été vaine. Grâce à elle, et à des milliers d’autres comme elle, le Sénégal est désormais libéré du trachome. C’est un héritage qui mérite d’être célébré. »