Discrimination
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Droit du sol en France : faut-il expliquer ce pilier républicain aux élus?
L. Wauquiez, député LR à l’Assemblée a proposé de restreindre le droit du sol sur tout le territoire lors du débat sur la restriction du droit du sol à Mayotte. Le sociologue Marwan Mohammed, spécialiste de l’islamophobie réagit à cette proposition.
Droit du sol en France : faut-il expliquer ce pilier républicain aux élus?
Laurent Wauquiez chef des députés Les Républicains a évoqué l'idée de restreindre l'accès au droit du sol sur tout le territoire français
il y a 6 heures

Il faut une forme de talent politique très particulière pour trouver, dans le contexte actuel, l’aplomb suffisant pour présenter au peuple un débat éculé, rance et si raciste que même l’extrême droite n’en fait plus un point central de son projet de gouvernement. C’est sans compter sur Gérald Darmanin et Bruno Retailleau, respectivement ministres de la Justice et de l’Intérieur de la France qui, plutôt qu’un état des lieux des conditions déplorables dans les prisons françaises où un audit sur l’efficacité (et les manquements) des services de police dont ils ont eu successivement la charge, ont choisi de remettre en question le droit du sol en espérant que, par les voies (si peu) impénétrables qu’emprunte désormais l’idéologie raciste pour irriguer la République, cette énième mouture d’un projet d’exclusion ciblant et délégitimant des millions de nos concitoyens devienne loi, quand toutes les précédentes tentatives se sont heurtées au mur du réel. Sans doute les effets de la théorie du “ruissellement” dont le président Macron nous a maintes fois vanté les mérites.

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À ce stade, les lecteurs internationaux auront sûrement besoin d’une explication pour comprendre comment Emmanuel Macron, qu’ils avaient découvert candidat, puis président si dynamique, portant haut les couleurs d’un libéralisme à la française, élu pour “faire barrage à l’extrême droite” disait-on, a pu en l’espace d’un mandat, non pas uniquement renier l’essentiel de ses promesses de campagne sur la diversité et entamer une dérive réactionnaire,  mais dépasser le Rassemblement national par sa droite, jugeant cette formation fondée par d’anciens soldats de la Waffen-SS “trop molle” contre les musulmans, les migrants et les minorités, selon les mots mêmes de son ministre Gérald Darmanin.

C’est que, par un génie stratégique dont les élites républicaines françaises conservent jalousement le secret, il semblerait que le seul moyen à leur disposition pour “battre l’extrême droite” soit d’appliquer avec zèle leur programme politique. 

Dans cette démarche, peu importe que le bénéfice électoral profite, avec une constance sans faille, aux partis comme Reconquête ou le Rassemblement National, trouvant ainsi leurs thèses normalisées et validées. Et peu importe si ces saillies racistes successives cristallisent des fractures au sein du peuple, divisent les gens, les montent les uns contre les autres, en terminant d’écœurer les électeurs qui, un scrutin après l’autre, n’arrivent plus à se convaincre de voter pour des candidats dont la seule proposition politique se résume à être « le moindre mal ».

Les vaines incantations républicaines passent, mais la croyance politique demeure. Et c’est ainsi que profitant d’une déclaration du premier ministre François Bayrou reprenant à son compte la théorie raciste de la « submersion » migratoire, MM. Darmanin et Retailleau ont jugé opportun de relancer ce débat sur le droit du sol, qui en substance fait trois choses :

La première : rendre inopérant et caduque l’acte fondateur de la France, construite sur l’unification d’immigrants, de peuples différents, d’exilés et de survivants, rassemblés par un récit partagé sur une terre refuge ; littéralement la dernière avant l’océan.

La seconde : légitimer et valider, au plus haut niveau institutionnel, le discours raciste qui, selon les mots de Bruno Mégret, ancien idéologue du Front national, fonde l’appartenance nationale française non pas dans un socle commun et égalitaire tiré du droit positif, mais dans « le creuset de l’histoire et du sang ». On sait quel creuset. On sait quel sang.

La troisième : diviser les citoyens en catégories ayant des légitimités, des conditions de loyauté et des modalités d’appartenances différentes, faisant de millions de Français d’ailleurs et de là, aux histoires entremêlées, des gens qui doivent se poser la question de leur place ici et ce, même après avoir fondé toute leur existence sur le sol de France où ils sont nés.

Sans surprise, nombre de commentateurs et de médias, y compris de service public ou se réclamant de valeurs progressistes, sont entrés dans une dialectique validante avec cette funeste proposition, comme s’il existait un moyen, d’une part de désactiver l’idéologie d’extrême droite sur le terrain de la raison pure et de la rhétorique, d’autre part de juguler l’opportunisme politique de ceux qui l’agitent. Mais c’est une double faute que seules peuvent commettre des personnes qui n’ont jamais eu à subir les conséquences de ces discours auxquels elles donnent un écho inespéré et dont elles contribuent ardemment, quoi qu’ils en disent, à la normalisation.

Pourtant, il n’y a ni « submersion » migratoire, ni « grand remplacement », ni aucune des chimères conspirationnistes qui prêtent aux immigrés une volonté de conquête :  le solde migratoire français demeure stable sur les 15 années passées et le seul pic observable date de 2022, principalement dû à l’accueil de 42 000 Ukrainiens. Une « immigration de qualité », qui « conduit les mêmes voitures », « blonds et aux yeux bleus », nous disait-on à l’époque, pour les différencier d’autres populations d’immigrants sur des critères trahissant ainsi la lecture racialiste de nombre de commentateurs politiques. En résumé, la France est l’un des pays de l’OCDE qui accueille le moins de personnes, avec 10.7% d’immigrés dans sa population, soit bien moins que l’Allemagne (20%), Malte (28%), le Canada (23%) ou le Luxembourg (28%). La seule submersion à l’œuvre est donc celle des idéologies d’extrême droite.

Mais le racisme est à l’épreuve des faits.

Et l’ambition politique de ceux qui nous gouvernent s’affranchit de ses effets.

Rappelons donc que le droit du sol, jus soli, n’est rien moins qu’un principe fondamental, central dans l’idée républicaine et universaliste que revendique la France. Inscrit dans le Code civil de 1804 et issu de la Révolution française, il repose sur une idée simple : la nationalité ne doit pas être uniquement un privilège héréditaire, mais le fruit d’une relation entre l’individu et la nation, fondée sur la naissance et la résidence sur le territoire, rompant ainsi avec le jus sanguinis issu de l’Ancien Régime, qui réservait la nationalité aux seuls descendants des sujets du roi. Le droit du sol fut renforcé et consolidé avec constance, avant d’être suspendu par le régime de Vichy, de juillet 1940 à août 1944.

C’est avec cette filiation fachiste et raciste que certains de nos politiciens souhaitent renouer. Dans la cour des contemporains qui contemplent ou refusent le droit du sol, notre gouvernement se trouvera en bonne place aux côtés de Viktor Orban, de Georgia Melloni ou de Donald Trump qui, entre deux propositions de nettoyage ethnique et de blanc-seing à un Etat colonial et génocidaire (Israël), trouve tout à fait normal de dénier à des pans entiers de ses concitoyens le droit même sur lequel le pays qu’il s’amuse à gouverner s’est fondé. Cette peu enviable compagnie s’ajoute au fait que la possibilité même d’une loi produit déjà des effets destructeurs et durables, puisqu’elle rend opérantes politiquement les catégories de Français dont l’appartenance est ainsi questionnée.

On aimerait pouvoir se rassurer en imaginant qu’un tel projet de loi sera forcément retoqué lors d’un examen plus attentif ou que ceux qui l’ont cyniquement réactivé feront l’objet d’un cinglant rappel à l’ordre au plus haut niveau de l’État, mais dans la France de 2025, le passage d’une loi d’exclusion supplémentaire est tout à fait plausible et l’éventuelle mise à l’écart de ce projet ne sera qu’un sursis… jusqu’au prochain débat.

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