FRANCE
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Épidémie de suicides chez les soignants: le cri d’alarme d’un système de santé à l’abandon
Les nombreux suicides dans les rangs du personnel hospitalier et les récentes plaintes déposées contre plusieurs ministres, révèlent les failles d’un système de santé en crise, miné par des années de sous-financement et de pressions institutionnelles
Épidémie de suicides chez les soignants: le cri d’alarme d’un système de santé à l’abandon
Les professionnels de santé appellent à un investissement durable et à une reconnaissance pleine de la souffrance vécue au sein des hôpitaux publics. / AFP
15 avril 2025

Dix-neuf plaignants, proches de soignants décédés ou personnels hospitaliers eux-mêmes en souffrance, ont déposé une plainte visant trois membres du gouvernement pour harcèlement moral, violences mortelles, homicide involontaire et mise en péril de la vie d’autrui.

Parmi les ministres visés : Catherine Vautrin (Santé), Yannick Neuder (Accès aux soins) et Élisabeth Borne (Education).

Cette action collective vise à dénoncer un harcèlement institutionnel systémique au sein de l’hôpital public français.

Elle marque une tentative sans précédent d’attribuer une responsabilité politique directe dans des tragédies humaines, survenues dans un système en crise profonde.

Des trajectoires brisées

Parmi les cas les plus emblématiques, celui d’une infirmière au Centre hospitalier de Béziers. Après 15 ans de service, elle met fin à ses jours en juin 2024, laissant derrière elle une lettre d’adieu accusatrice : elle y désigne explicitement la direction de l’hôpital comme responsable de sa détresse. 

Son mari affirme qu’”elle voulait que son geste protège les autres infirmières”.

Quelques mois plus tard, un brancardier du même établissement met fin à sa vie. D’autres agents font des tentatives. Un audit externe révèle un contexte de risques psychosociaux fortement avérés et une culture du déni de la souffrance au travail. 

Malgré cela, la direction refuse d’établir un lien direct entre les décès et les conditions de travail.

Le schéma se répète ailleurs : à l’EPSAN de Brumath, trois suicides en 2023, puis celui d’une étudiante infirmière fin 2024.

À Poissy, un chef de pôle décède après avoir enchaîné 37 jours de travail quasi sans pause. En février 2025, un ORL se suicide à son tour. Tous les niveaux hiérarchiques sont concernés.

Face à ces drames, l’avocate Christelle Mazza, spécialisée dans la défense des agents publics, a choisi de regrouper les plaintes individuelles en une procédure collective devant la CJR.

Pour elle, il s’agit de faire émerger la responsabilité des décideurs qui organisent, tolèrent ou laissent perdurer des pratiques délétères. Elle s’inspire ouvertement de la jurisprudence France Télécom, qui avait vu des dirigeants condamnés pour avoir mis en place une stratégie de gestion toxique ayant conduit à une vague de suicides.

Selon l’avocate, trois mécanismes alimentent ce harcèlement systémique : une désorganisation institutionnelle permanente, liée aux réformes incessantes et à l’instabilité ministérielle, une culture de la performance budgétaire, obligeant à "faire plus avec moins", une instrumentalisation du dévouement des soignants, poussés à l’épuisement par fidélité à leur mission.

Le constat dressé dans la plainte est sans appel : “Si la loi était réellement appliquée, pas un seul hôpital ne serait ouvert”. Dans un climat de sous-effectifs chroniques, de surcharge, et d’une pression hiérarchique souvent aveugle, les soignants se sentent abandonnés. 

Le dépôt de cette plainte ne vise pas seulement à obtenir réparation, mais également à briser l’omerta et ouvrir un débat sur la violence institutionnelle à l’œuvre dans l’hôpital public.

Il vise à rappeler que, derrière les injonctions de réforme et les tableaux de bord de rentabilité, il y a des vies, des souffrances, des deuils.

La commission des requêtes de la Cour de Justice de la République doit statuer le 19 juin 2025 sur l’opportunité d’ouvrir une instruction. Si elle accepte, ce serait une première historique : une mise en cause pénale des plus hautes autorités politiques pour les conséquences de leur gestion du système hospitalier.

La crise du système sanitaire français 

Ainsi, le phénomène n’est pas nouveau. Des cas de suicides de soignants sont signalés depuis plusieurs années, souvent dans un contexte de surcharge extrême : journées dépassant les 90 heures hebdomadaires, enchaînement de gardes, services en sous-effectif, injonctions de rentabilité.

Dans son dernier rapport sur l’accès aux soins, publié en mars dernier, la Fédération hospitalière de France tirait déjà la sonnette d’alarme sur la situation de délabrement dans les hôpitaux et les conditions de travail du personnel soignant.

Dans certains services, des patients sont laissés sur des brancards, faute de lits disponibles. Cette accumulation de contraintes crée un climat de tension permanente, dans lequel la qualité des soins se heurte aux limites physiques et mentales des équipes.

Ce décalage constant entre les exigences de l’institution et les valeurs du soin place les soignants dans des situations de détresse éthique et de grande vulnérabilité psychique.

Le terme de “violence institutionnelle” est de plus en plus utilisé pour qualifier ce climat. Des chefs de service ayant tenté de protéger leurs équipes ont parfois été évincés ou décrédibilisés. 

Toutefois, la responsabilité n’est pas uniquement institutionnelle, mais également étatique. Le mal ne relève plus d’une simple désorganisation, mais d’un choix politique.

Les représentants de syndicats hospitaliers rappellent que des alertes répétées ont été adressées aux gouvernements successifs depuis plus de quinze ans, sans effet notable.

Ce silence prolongé alimente aujourd’hui une perte de confiance. Certains estiment que seule une réponse judiciaire est désormais susceptible de provoquer un changement structurel.

Parmi les mesures réclamées figurent la création d’un registre national des suicides dans la fonction publique hospitalière, l’accompagnement des familles et des équipes touchées par ces drames, ainsi qu’une véritable feuille de route pour la prévention des risques psychosociaux.

Il est également demandé que les directions cessent de considérer les suicides comme des événements isolés, liés à des “causes personnelles”, sans lien avec le contexte professionnel.

Les chiffres confirment l’ampleur du problème. Le risque de suicide dans la population soignante est estimé deux à trois fois supérieur à celui de la population générale. 

Face à cette surmortalité, les professionnels de santé appellent à un investissement durable et à une reconnaissance pleine de la souffrance vécue au sein des hôpitaux publics.


SOURCE:TRT français et agences
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