Emmanuel Macron est coutumier des volte-face diplomatiques. Son dernier revirement stratégique sur la reconnaissance de l’Etat palestinien en est un cas chimiquement pur. Initialement prévue le 17 juin, la conférence à l’ONU qui devait entériner la reconnaissance de la Palestine par la France a été reportée sine die. Le locataire de l’Elysée a, semble-t-il, cédé aux pressions du lobby pro-israélien incarné notamment par le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) qui est aligné sur la ligne génocidaire du gouvernement Netanyahu. Bien que la raison officielle avancée par le président Macron soit l’attaque de missiles menée par Israël en Iran, justifiée par l’éternelle ritournelle du “Droit de Tsahal à se défendre”, ce basculement soudain ne laisse guère de doute sur ses motivations profondes. Pourtant, la situation à Gaza dépasse de jour en jour l'horreur de la guerre pour entrer dans le champ précis du génocide documenté
“Un génocide qui "coche toutes les cases”
Dans un entretien exclusif à TRT Français, l’historien et ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, Dominique Vidal, rappelle que le massacre à Gaza répond point par point à la définition juridique de génocide : “Il suffit d’ouvrir le texte de la convention de l’ONU pour voir qu’Israël coche toutes les cases, sans exception. [...] Personne ne peut nous faire croire que les dizaines de milliers de morts étaient des militants du Hamas. Tout le monde sait qu’il y avait vingt-cinq mille militants au maximum", assène-t-il. L’historien détaille la stratégie d’anéantissement menée par l’entité sioniste : "On a une volonté de détruire toutes les conditions de vie normale : le système de santé est ravagé, l’eau n’est plus potable. On tue des familles entières – une personne dont on parle aujourd’hui voit son épouse et ses enfants tués le lendemain". Les chiffres, sous-estimés selon lui, dépasseraient les 200 000 morts, un bilan "qu’on n’a jamais vu sauf pendant la Deuxième Guerre mondiale".
Vidal rejette donc toute "bataille sémantique" oiseuse sur la notion de génocide. Il détaille cette mécanique exterminatrice : la volonté de tuer des civils d’abord, la destruction des conditions de vie ensuite à travers le blocus humanitaire. Et enfin le soutien populaire israélien. "72 ou 73% des Israéliens juifs approuvent non seulement la guerre mais le fait de tuer des masses de civils, de chercher à faire table rase de la bande de Gaza".
L'historien révèle en effet des chiffres glaçants : "L'article publié par The Lancet en juillet dernier dénombre autour de 186 000 morts et disparus. On peut imaginer qu'on est au-delà de 200 000 aujourd’hui". Il souligne que les bilans du Hamas seraient sous-estimés, ne comptabilisant que "les morts nommées".
Macron et le CRIF : la reconnaissance palestinienne en suspens
Dominique Vidal décrypte par ailleurs le revirement diplomatique de l’Elysée. Après des mois de soutien "inconditionnel" à Israël, Macron avait fini par annoncer une reconnaissance de la Palestine en juin. L'historien attribue bel et bien ce report en partie aux pressions du lobby pro-israélien : "Le CRIF est comme un enfant turbulent : si on le laisse faire, il trouble toute la vie sociale française. On est en fait dans une situation où depuis des années et des années, l'Elysée donne de la voix dans l'approbation de ce que dit le CRIF. Parfois même à un niveau qui n'a plus de sens". Le spécialiste du Proche-Orient fustige notamment les tentatives de criminaliser l'antisionisme : "C'est complètement invraisemblable. [...] En France, il n'y a pas d'autre délit que les délits qu'on commet". Cette position est d'autant plus remarquable au vu de l’histoire personnelle de Vidal : "J'ai 14 personnes de ma famille en France qui sont mortes à Auschwitz. [...] Quand quelqu'un me traite d'antisémite, ça me navre".
L'ombre du fascisme sioniste et la responsabilité occidentale
L'historien retrace la généalogie idéologique de cette violence : "Le substrat du Jabotinskyisme est fasciste. [...] Vladimir Jabotinsky a été l'idole de toute la vie politique israélienne". Ce fondateur du sionisme révisionniste, lié à Mussolini qui lui offrait des radios pour diffuser sa propagande, prônait déjà en 1923 dans "La Muraille de Fer" d'"écraser" les Arabes par la force. Et Vidal de pointer la responsabilité des puissances occidentales : "Cette guerre aurait été impossible si quelques grandes puissances avaient décidé de stopper l'élan guerrier de Netanyahou. [...] La responsabilité des Américains, des Britanniques, des Français est gigantesque". D.Vidal ajoute que des ministres comme Ben Gvir, s’ils n’étaient pas israéliens, seraient qualifiés de néonazis » en Occident.
La reconnaissance de la Palestine : une promesse sacrifiée ?
Malgré l'horreur, Vidal observe néanmoins un tournant majeur dans l'opinion internationale : “74% des Français sont pour des sanctions contre Israël” (sondage récent). Aux États-Unis : "Pour la première fois, une majorité de citoyens américains se sentent plus proches des Palestiniens que des Israéliens", y compris chez les jeunes juifs. À l'ONU "Quasiment 150 pays reconnaissent l'État de Palestine ou s'engagent à le faire". Ce contexte rend d'autant plus criant le report de la reconnaissance par la France. Comme le conclut Vidal : "Si quelque chose a ravivé l'antisémitisme ou la critique acerbe d'Israël, c'est la guerre qu'Israël mène”
Pour lui, ce renoncement illustre un paradoxe français : "Macron est revenu choqué de ses visites à Gaza, mais subit les pressions du CRIF”. Et après des mois de soutien inconditionnel à Israël, sa 'ligne alternative' sur la Palestine est étouffée dans l’œuf.
Navire humanitaire Madleen : une répression prévisible
L’interception par Israël du navire humanitaire Madleen, où se trouvaient l’eurodéputée franco-palestinienne Rima Hassan et la militante écologiste Greta Thunberg, s’inscrit dans une tradition de répression des initiatives civiles, analyse Vidal : “Ce n’est pas nouveau. En 2010, Israël avait tué 9 citoyens turcs sur le Mavi Marmara. Leur but est clair : empêcher que le monde ne voit l’horreur à Gaza. Cette fois, ils ont évité les morts… mais pas la honte”. Pour l’historien, l’objectif des organisateurs est atteint : “Ils ont réussi à faire parler de la situation dramatique à Gaza. Indiscutablement”. Selon lui, le rôle joué par Rima Hassen est essentiel et loin d’être isolé : “C’est une jeune femme extrêmement charismatique, elle est très fine politiquement, il n’y a pas une phrase d’elle qui justifie les attaques du 7 octobre contrairement à ce qu’affirment ses adversaires. Ce n’est pas un profil à part ; même au Etats-Unis, des jeunes femmes politiques brillantes avec un haut niveau de formation incarnent le visage de la défense acharnée des Palestiniens”.
L'aventure du Madleen a effectivement fait des émules : des organisations de la société civile malaisiennes ont annoncé leur intention de lancer la plus grande flotte maritime de l'histoire, une flottille de la liberté de 1 000 navires, destinée à briser le siège et à acheminer une aide vitale aux Palestiniens affamés.
Alors que Gaza sombre dans l’irréparable, le report de la reconnaissance palestinienne par Macron valide l’impunité d’Israël et scelle l’alliance française avec un État génocidaire. Pour Vidal, "les grandes puissances ont une responsabilité gigantesque qui se paiera".
Un avertissement lourd de sens qui met en lumière les conséquences irréparables de cette complicité coupable.