Par Marine Gachet
Depuis mars 2023 et l’expiration de son titre de séjour, Saïd* ne peut plus sortir sereinement dans les rues de Mayotte. “Je ne peux pas me déplacer comme je le pouvais avant, notamment pour faire des courses, des sorties”, regrette le jeune homme de 21 ans qui craint à chaque fois de se faire interpeller par la police aux frontières.
Né à Mayotte de parents comoriens, il obtient un premier titre de séjour pour “liens personnels et familiaux” d’un an à sa majorité, grâce à la nationalité française de sa sœur. Ce titre de séjour prévu pour les personnes ne pouvant bénéficier du regroupement familial mais ayant des attaches fortes en France est fortement plébiscité par les ressortissants de l’Union des Comores, voisine indépendante du 101ème département français.
En avril 2023, il assure avoir fait une demande de renouvellement, restée pour l’heure sans réponse. Depuis, dès qu’il se déplace au bureau des étrangers de la préfecture pour régler sa situation, il trouve porte close. “À chaque fois, il y a des fermetures liées à ce collectif”, déplore-t-il.
Régulièrement, le Collectif citoyen Mayotte 2018 bloque l’accès au service de la préfecture qui traite les demandes de titre de séjour, dans le but d’arrêter les régularisations. Dans l’archipel, l’immigration notamment comorienne est régulièrement tenue pour responsable de la pression démographique. “On continue à régulariser des gens alors qu'on n'est pas en capacité de les accueillir dignement. Nous n’avons pas d’hébergements suffisants pour ces gens-là, nous n’avons pas d’hôpitaux capables de soigner tout ce monde-là”, défend Safina Soula, présidente du collectif, assise avec une quinzaine d’autres femmes devant le bureau des étrangers en ce mois d’avril.
Des blocages depuis 2018
“Aujourd’hui on se retrouve complètement minoritaires, dans nos écoles on est minoritaires”, appuie la Mahoraise, dont le collectif réclame la fin du titre de séjour territorialisé dans l’unique département français où il est en vigueur. Au 1er janvier 2024, l’Insee estime la population de Mayotte à 321 000 âmes. En 2017, l’institut estimait que 48% des résidents du plus pauvre département de France étaient de nationalité étrangère.
Depuis octobre 2024, le groupe de citoyennes empêche l’accès au bureau des étrangers, entraînant la fermeture du service jusqu’à aujourd’hui. Interrompues quelques semaines par Chido, elles ont repris leurs sit-ins il y a un mois. Mais cela fait “depuis au moins 2018” que des blocages ont lieu régulièrement, selon Daniel Gros, référent de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) à Mayotte.
“Depuis un an, ça n’a été ouvert qu’un mois. Et comme la plupart des titres de séjour ont une validité d’un an, on peut considérer maintenant que la plupart des gens n’ont pas de carte de séjour”, redoute-t-il, dénonçant une atteinte aux droits. Une situation “gravissime” selon le référent de la LDH et qui entraîne la perte d’emploi et de sécurité sociale pour celles et ceux qui n’arrivent pas à renouveler leurs titres. Contactée au sujet de ces blocages, la préfecture n’a, pour l’heure, pas répondu à nos sollicitations.
Pas de rendez-vous disponibles
Si certaines demandes de titres ou de renouvellement peuvent être effectuées en ligne sur le site de l’Administration Numérique des Étrangers en France (ANEF), celles pour liens personnels et familiaux doivent s’effectuer en personne à la préfecture. Saïd a bien essayé de prendre rendez-vous, suivant la consigne qui lui a été donnée. Mais il affirme n’avoir jamais réussi à en obtenir un.
Quand on suit les formulaires de prise de rendez-vous en ligne sur le site internet des services de l’État à Mayotte, aucun créneau n’est disponible. On y lit également que la dernière mise en ligne de rendez-vous a été effectuée le 13 septembre 2024 pour les premières demandes, et le 10 octobre 2024 pour les renouvellements.
Face à cette situation, Saïd ne sait pas par quel bout prendre le problème et admet être de plus en plus découragé à l’idée de se rendre au bureau pour relancer sa demande. “C’est un très gros risque que je prends. Ces temps-ci, on a énormément de contrôles sur la route”, confie celui qui survit en ce moment en travaillant au black sur des chantiers de construction, répondant aux forts besoins provoqués par le cyclone Chido.
Lors de sa visite dans le 101ème département français le 21 avril, Emmanuel Macron a annoncé la mise en place du plan “Uhura wa shaba” (mur de fer en shimaoré) qui, au-delà de miser sur l’interpellation en mer des migrants avant leur arrivée, prévoit “d'arriver véritablement aux 35 000 retours”. À Mayotte, on compte généralement autour de 25 000 reconduites à la frontière par an. La loi de programmation pour la refondation de Mayotte qui doit être examinée par l’Assemblée nationale avant l’été entend durcir l’accès aux titres de séjour, notamment pour “liens personnels et familiaux”.
*Nom d’emprunt