Islamophobie en France : racines coloniales et continuités contemporaines
FRANCE
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Islamophobie en France : racines coloniales et continuités contemporainesLe 15 mars marque la journée internationale de la lutte contre l’islamophobie. Une mobilisation qui divise en France compte tenu d’un passé et présent marqués par une défiance d’une partie des élites envers l’Islam.
Islamophobie en France : racines coloniales et continuités contemporaines
17 mars 2025

La journée internationale de la lutte contre l’islamophobie se déroulera cette année dans un climat particulièrement tendu en France où les discours, les actes et les projets de lois stigmatisant les musulmans se multiplient. De nombreuses voix s’élèvent en effet pour alerter sur la montée inquiétante des actes hostiles envers la communauté musulmane.

Dernier en date de ces actes : l’affaire de l’incendie présumé criminel de salle de prière de l’association franco-turque de Jargeau dans le Loiret le 27 février dernier qui a très peu été couvert par les médias officiels. Aujourd’hui dissous, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) avait dénombré entre 2019 et 2023 une augmentation de 54 % d’actes antimusulmans. En 2024, 157 actes similaires ont été signalés aux autorités entre agressions verbales, profanations de mosquées et discriminations à l’embauche. La situation n’a donc cessé de se dégrader compte tenu du contexte politique en Europe marqué par la montée de l’extrême-droite et du génocide perpétré par Israël à Gaza.


La colonisation a aussi été une déislamisation

De nombreux observateurs opèrent un parallèle entre l’islamophobie actuelle qui sévit en France et les politiques coloniales menées à l’époque de l’Algérie française. Cet héritage tourmenté façonnerait encore les mécanismes d’exclusion et de discrimination des musulmans, révélant une continuité idéologique entre le passé colonial français et les fractures contemporaines.

20 ans après, la Charte de la diversité n'a rien donné

Ancien commissaire à l’égalité des chances sous la présidence de Nicolas Sarkozy, Yazid Sabeg, industriel, célèbre ce jeudi 6 février, à Paris, les 20 ans de la Charte de la diversité. L’occasion de dresser le bilan.

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Interrogée par TRT français, la députée européenne La France insoumise, Rima Hassan, estime que pour comprendre les dynamiques actuelles de l’islamophobie en France, il faut remonter au 19ème siècle, lorsque la France a colonisé l’Algérie (1830-1962).“Je crois que l’islamophobie est plus exacerbée en France de par l'histoire coloniale. Il ne faut pas oublier que le processus colonial français en Algérie, a été un processus de désislamisation, de dévoilement des femmes, de destruction des mosquées pour les remplacer par des églises, d'interdiction des enseignements du Coran ou même de la langue arabe. La France, sa colonisation, sa politique coloniale, notamment en Algérie, a toujours été une politique profondément islamophobe”. Rima Hassan ajoute qu’Il y a une sorte de “transfert qui est fait aujourd’hui et qui est matérialisé dans la manière dont la politique est incarnée en France, notamment au ministère de l'Intérieur, au ministère de la Justice à travers la convocation d'une sémantique, que ce soit sur l'assimilation ou même l'intégration, qu'on pouvait retrouver du temps des colonies”.

Le même constat est fait par Youssef Boussoumah, militant antiraciste et historien spécialiste de la période coloniale : “La colonisation ne se résumait pas à une occupation territoriale. C’était un projet de domination culturelle et religieuse. L’islam était perçu comme un obstacle à la “mission civilisatrice” de la France, justifiant un contrôle brutal des populations.” 

Le Code de l’indigénat (1881), appliqué aux Algériens musulmans, illustre pleinement cette logique. Il privait les colonisés de droits politiques, restreignait leurs déplacements et criminalisait leurs pratiques religieuses. Les mosquées étaient placées sous surveillance, les imams choisis par l’administration française, et le culte musulman soumis à autorisation. La loi de 1905 sur la laïcité, présentée comme un pilier de l’émancipation républicaine, fut en réalité instrumentalisée outre-mer pour marginaliser l’islam. “En Algérie, la laïcité signifiait la soumission à l’ordre colonial, pas la neutralité de l’État”, précise Boussoumah.

Les lois “islamophobes”: Une laïcité détournée ?

Près d’un siècle plus tard, Rima Hassan, députée européenne et militante antiraciste, dénonce une instrumentalisation similaire de la laïcité. “Aujourd’hui, le mot “laïcité” est brandi pour stigmatiser les musulmans, comme hier il servait à légitimer la domination coloniale”, affirme-t-elle.

Elle en veut pour preuve le projet de loi adopté au Sénat pour interdire le port du voile dans les compétitions sportives sous couvert de laïcité.

La loi “contre le séparatisme” (2021), accusée de viser spécifiquement les musulmans, incarne, selon de nombreux observateurs, cette continuité. Ainsi, ce texte renforce le contrôle étatique sur les associations cultuelles, les écoles privées et les financements étrangers des mosquées. Rima Hassan va même jusqu’à qualifier ces politiques d’institutionnalisation de l’islamophobie.

“On est dans une situation d'islamophobie institutionnalisée en Europe. Contrairement aux autres racismes qui ont vocation à être, une fois identifiés, réprimés, là c'est plutôt un racisme qui est encouragé, voire qui est institutionnalisé.

C'est-à-dire que c'est l'Étatqui va cibler les communautés musulmanes, que ce soit pour leurs tenues vestimentaires, leurs pratiques religieuses, leurs écoles privées, sur tous les aspects de leur vie en réalité. Jusqu'à interdire aux femmes voilées de pratiquer une activité sportive. C'est quand même assez fou”.

Une rhétorique inchangée: le musulman, éternel “ennemi de l’intérieur”

Pour Youssef Boussoumah, les ressorts idéologiques de l’islamophobie n’ont guère évolué. “Sous la colonisation, le musulman était dépeint comme arriéré, fanatique et dangereux pour les valeurs républicaines.

Aujourd’hui, la rhétorique sécuritaire associe islam et terrorisme, tandis que le voile devient un symbole d’oppression. Le vocabulaire change, mais le fond reste identique.”

Cette construction de “l’Autre'“ menaçant justifie des mesures exceptionnelles. Hier, les “codes de l’indigénat”; aujourd’hui, les interdictions vestimentaires ou la chasse aux “séparatistes”. “La France entretient un rapport schizophrène avec ses musulmans: on exige leur assimilation tout en leur refusant une pleine citoyenneté”, résume Youssef Boussoumah.

Les effets de ces politiques sont tangibles : les actes islamophobes ont considérablement augmenté ces trois dernières années. Cette violence n’est pas nouvelle. Durant la guerre d’Algérie (1954-1962), les massacres de Sétif ou de Paris (1961) ont montré jusqu’où pouvait aller la répression étatique contre des populations perçues comme « indigènes ». “Aujourd’hui, on ne tire plus sur les manifestants musulmans, mais le racisme structurel persiste, souligne Youssef Boussoumah.

Vers une reconnaissance des héritages coloniaux ?

Pour rompre ce cycle, Rima Hassan plaide pour une déconstruction collective de l’histoire coloniale. Youssef Boussoumah abonde dans le même sens : “Les lois islamophobes actuelles ne tombent pas du ciel. Elles s’enracinent dans un imaginaire colonial jamais vraiment disparu. Combattre l’islamophobie exige de combattre aussi l’amnésie historique.”

L’islamophobie en France n’est pas un phénomène isolé. Comme le fut le colonialisme jadis, elle s’appuie sur une logique de domination, un récit de supériorité culturelle et un arsenal législatif discriminant. En rapprochant les époques, les historiens invitent à une prise de conscience.  Sans justice mémorielle, il ne peut y avoir de véritable égalité.

La récente mise à pied du journaliste Jean-Michel Apathie par RTL parce qu’il a rappelé à l’antenne les violences commises en Algérie par les Français et la polémique qui a suivi montrent que le déni est encore de mise.

SOURCE:TRT Français
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