Dans une série de témoignages recueillis par le journaliste britannique, Hamza Yusuf de Declassified UK, des journalistes en fonction et d’autres anciens révèlent les pressions, autocensure et directives éditoriales qui orientent la narration du conflit en faveur du récit israélien.
Tous les témoignants ont requis l’anonymat, redoutant des représailles professionnelles. Leurs récits esquissent un tableau accablant d’un système médiatique verrouillé par des normes tacites et des hiérarchies éditoriales rigides.
Un groupe d'activistes a projeté le documentaire Gaza: How to Survive a War Zone, qui traite des enfants de Gaza, sur le bâtiment de la BBC Scotland à Glasgow, au Royaume-Uni, après que la chaîne l'ait retiré de sa programmation
Déshumanisation des Palestiniens chez Sky News et la BBC
Une journaliste de Sky News confie que “le récit israélien règne toujours en maître”, peu importe son exactitude. Malgré des preuves vidéo accablantes de crimes de guerre, les journalistes ne peuvent pas en parler librement.
“On reçoit des images brutes de Gaza, on voit le carnage, mais on ne peut pas décrire ce que nos yeux voient”, regrette la journaliste.
Lorsque le ministre israélien de la Défense à l’époque Yoav Gallant a proclamé un “siège total” de Gaza le 7 octobre 2023, la journaliste a tenté d’en souligner l’illégalité.
Refus catégorique de la rédaction. Toute tentative de mettre en avant la responsabilité israélienne entraînait une marginalisation interne : “S'écarter du récit dominant, c’était être catalogué comme difficile”.
Pire encore, lorsqu’un invité palestinien parvenait à présenter son point de vue, les représailles étaient immédiates : “Il y avait une avalanche d’appels de plaintes. Les officiels israéliens menaçaient de retirer l’accès à leurs porte-paroles ou aux zones de reportage”.
Deux anciens journalistes de la BBC dressent un constat similaire : les Palestiniens étaient “déshumanisés dans tous les formats – TV, radio, web”.
Il n'est pas facile de contrer l'implacable campagne médiatique israélienne qui désinforme et induit le monde en erreur au sujet de la guerre de Gaza, mais une petite organisation basée à Ramallah s'est montrée à la hauteur de la situation.
Dès octobre 2023, toute tentative de centrer les récits sur les victimes palestiniennes se heurtait à une exigence d’équilibre : pour chaque histoire palestinienne, il fallait une équivalence israélienne.
L’utilisation du mot génocide est proscrite. “Il est effectivement interdit, et tout intervenant qui le prononce est immédiatement coupé”, affirme un ancien journaliste de la chaîne. Même lorsque des organismes comme l’ONU ou Amnesty International utilisent ce terme, la BBC le passe sous silence.
Des commentaires privés ont révélé la mentalité déshumanisante au sein de la rédaction : lors du siège de l’hôpital Al-Shifa, un journaliste exprimait son horreur devant les actions de l’armée israélienne, mais un collègue lui a rétorqué : “Je ne peux pas croire que le Hamas utilise des enfants comme boucliers humains”.
Aucun questionnement sur les actions israéliennes, seulement des justifications.
Une autre journaliste démissionaire explique que “le service public a une immense responsabilité. Mais à force de ne pas contredire les porte-paroles israéliens, de ne pas offrir de contexte, la BBC a participé à la déshumanisation des Palestiniens.
“Désinformation par omission”
Au Times, les règles sont tout aussi rigides. “J’ai pleuré des dizaines de fois aux toilettes, tellement c’était un combat de faire publier des histoires centrées sur les Palestiniens”, témoigne une journaliste.
Lorsque cette personne a proposé de couvrir le conflit sur place, sa demande a été refusée, officiellement pour des raisons budgétaires. Pourtant, une de ses collègues ayant peu d’expérience au Moyen-Orient a été envoyée à sa place.
Les phrases neutres comme “depuis octobre 2023” étaient systématiquement remplacées par “depuis les attaques du Hamas”, renforçant la lecture israélienne du conflit comme une guerre défensive.
“Je n’étais pas du genre à régurgiter les éléments de langage de l’armée israélienne, donc on a préféré envoyer quelqu’un d’autre”, affirme-t-elle.
Incitation à la haine contre les Palestiniens, diffusion de fake news, propagande pro-Netanyahu, tous les moyens semblent bons pour soutenir Israël dans les médias français.
Un éditorialiste aurait même déclaré : “Je ne comprends pas pourquoi les Gazaouis ne prennent pas des bus pour fuir”. Un commentaire révélateur d’une ignorance profonde des réalités sur le terrain et d’une absence totale d’empathie.
Même au sein du Guardian, qui se veut progressiste, les entraves sont nombreuses. Un journaliste révèle qu’une base de données interne a été créée pour recenser les manquements du journal, avec une “montagne d’exemples” de propagande israélienne relayée sans remise en question.
Le langage joue un rôle clé : l’insistance sur l’expression “ministère de la Santé dirigé par le Hamas” pour qualifier les chiffres des morts à Gaza sert à en saper la légitimité. De même, les appels à l’évacuation de Gaza sont rarement replacés dans leur cadre illégal au regard du droit international.
Pire encore, les déclarations ouvertement génocidaires de responsables israéliens ne sont pas reprises, ou reléguées en bas d’article, sans contexte juridique.
“C’est de la désinformation par omission”, résume un membre de la rédaction.
Des révélations récentes ont mis au jour d'anciens détectives intégrés dans les grands médias, alimentant les inquiétudes quant à leur influence et à la dégradation de la transparence.
En novembre 2023, huit journalistes de la BBC avaient adressé une lettre à la direction dénonçant l’échec de l’institution à informer correctement le public sur Gaza.
Plusieurs ont depuis quitté leur poste, dont la présentatrice Mishal Husain, connue pour ses questions incisives envers les invités israéliens. Son départ serait lié à la pression interne grandissante.
Les témoignages concordants issus de médias aux lignes éditoriales pourtant divergentes montrent qu’il ne s’agit pas d’incidents isolés, mais bien d’un système de pression dans laquelle les biais pro-israéliens ont pignon sur rue.
