Moses Ekadeli, 16 ans, découpe une branche épineuse de “mathenge”, avec une précision maîtrisée, son regard concentré pendant des heures alors que ses mains façonnent habilement le bois pour en faire une chaise.
Des dizaines d'adolescents comme Moses, vivant dans le camp de réfugiés de Kakuma, situé dans le comté de Turkana au nord du Kenya, ont appris à fabriquer des meubles écologiques à partir de cette même espèce végétale invasive qui a détruit de vastes terres agricoles communautaires.
Cette innovation née de la nécessité ne se limite pas à tirer parti d'une situation difficile ; de nombreux experts considèrent cette initiative comme la meilleure solution pour lutter contre un problème environnemental croissant dans la région.
Le mathenge, également connu sous son nom scientifique Prosopis juliflora, est une espèce introduite au Kenya depuis l'Amérique du Sud dans les années 1970 avec les meilleures intentions.
Selon l'Institut de Recherche Forestière du Kenya (KEFRI), le mathenge a été introduit pour revitaliser les zones arides et semi-arides du pays, grâce à sa durabilité, sa croissance rapide et sa polyvalence comme matière première pour les poteaux, l'ombre, les clôtures coupe-vent, le bois de chauffage et le fourrage.

Cependant, les conséquences inattendues ne se sont pas fait attendre.
Au cours de la dernière décennie, le problème s'est aggravé, avec cet arbuste épineux rendant de vastes zones de terrain déjà difficilement exploitables encore moins productives.
Pour les habitants de Kakuma – des pasteurs et agro-pasteurs dont la survie dépend de la productivité des terres – le mathenge est l'incarnation de cet ennemi silencieux qui progresse insidieusement.
Invasion rapide
Les récits locaux sur les ravages environnementaux causés par le mathenge dressent le tableau d'un écosystème assiégé.
Les morts de bétail sont fréquents lorsque les animaux consomment les feuilles larges de la plante, qui possèdent des poils ou des épines piquantes.
Les fourrés denses ont réduit la disponibilité en eau dans une région déjà confrontée à une grave pénurie d'eau. Les racines profondes de la plante sont connues pour épuiser les nappes phréatiques pendant les saisons sèches qui peuvent durer jusqu'à trois ans.
Les données scientifiques racontent une histoire préoccupante.
Selon le Centre de Formation et de Recherche Intégrée sur le Développement des Terres Arides et Semi-Arides, un arbre mature de mathenge peut consommer entre 20 et 30 litres d'eau par jour.
Dans un paysage marqué par la rareté de l'eau, cela représente une pression supplémentaire sur une ressource précieuse.
Louis Obam, conservateur forestier du comté de Turkana, affirme que l'espèce a envahi des milliers d'hectares de végétation indigène au détriment de la population locale et de leur bétail.
Initiative menée par les jeunes
Avec le financement de l'organisation Education Above All, deux associations mènent une transformation remarquable à Kakuma, basée sur le concept de réutilisation.
Green Youth 360, une initiative environnementale dirigée par des jeunes, s'est associée à Girl Child Network, une organisation axée sur le bien-être des enfants en Afrique de l'Est, pour transformer cette espèce invasive en une ressource.
Leur approche est simple mais efficace.
Les jeunes de plus de 60 écoles des camps de réfugiés de Kakuma et leurs communautés hôtes apprennent à transformer le mathenge en meubles écologiques.
Moses, élève au lycée Kakuma Arid Zone Secondary School, représente cette nouvelle école d'entrepreneuriat environnemental.
Après avoir été formé par Ephraim Lodiyo, facilitateur de Green Youth 360, il est désormais l'un des meilleurs artisans du groupe.
« La formation m'a apporté des connaissances théoriques et des compétences pratiques essentielles pour fabriquer de belles chaises à partir de cette plante invasive », confie-t-il à TRT Afrika.
Shamila Osman, une étudiante de 19 ans au lycée Lifeworks Tumaini Girls' Secondary School, a découvert sa passion grâce au programme.
« Ces chaises écologiques sont plus faciles à fabriquer et moins chères que les meubles traditionnels », explique-t-elle.
L'initiative va au-delà du recyclage.
Dennis Mutiso, directeur adjoint de Girl Child Network, affirme que le partenariat avec Green Youth 360 vise à établir des programmes d'action climatique intégrés à Kakuma, favorisant une meilleure intégration locale entre les réfugiés et les communautés hôtes.
« Notre objectif est de réduire l'impact de l'une des espèces invasives les plus problématiques du pays et de la transformer en une ressource précieuse qui soutient la conservation de l'environnement tout en fournissant la matière première pour des meubles écologiques », explique Patience Rusare, spécialiste senior des médias chez Education Above All.

Contexte général
Le comté de Turkana lutte depuis longtemps contre des taux élevés de pauvreté et de malnutrition, tout en s'adaptant à la propagation invasive du mathenge et aux extrêmes du changement climatique.
Le gouvernement kényan a élaboré une stratégie nationale et un plan d'action pour éradiquer le mathenge grâce à un programme de « gestion par utilisation », bien qu'Obam note que cette initiative n'a pas encore pris de l'élan.
En revanche, l'initiative de fabrication de meubles menée par les jeunes représente bien plus qu'une solution environnementale ; elle aide les communautés à transformer les défis en opportunités, créant une valeur économique tout en répondant aux problèmes écologiques.