Cette ligne de fracture illustre une fois de plus la complexité des relations entre les deux États.
Vers “une riposte graduée”. La nouvelle saillie du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, confirme, sur BFM, que la situation est loin de se détendre. Outre l’utilisation du champ lexical de la guerre (froide), le ministre semble même défier le président de la République, Emmanuel Macron.

TRT Global - L’instance algérienne a pris cette décision pour protester contre la visite de Gérard Larcher au Sahara occidental.
Depuis le Portugal où il était en visite d’État, Macron a plaidé pour le “respect” des accords signés en 1994. “Je souhaite qu’un travail de fond soit réengagé au service des intérêts des uns et des autres. Avec exigence, respect et engagement”, a déclaré E. Macron. Et ce dernier d’ajouter: “on ne peut pas se parler par voie de presse. C’est ridicule, ça ne marche jamais comme ça”.
Des mots clairs et choisis aux antipodes de la virulence portée par ceux de B. Retailleau. Ils sonnent comme un désaveu pour le premier flic de France, convaincu que la diplomatie du bras de fer est le seul langage compris par l’Algérie. Or, ce bras de fer est opportun pour Retailleau qui adopte ainsi une tonalité guerrière et défie l’Algérie, pays problématique à plusieurs égards, pour lui.
D’abord parce que son histoire, mêlée à celle de la France, place la République devant ses paradoxes, à commencer par les crimes coloniaux. Or, en France près de 20 millions de la population est concernée par cette histoire. Descendante d’indépendantistes algériens, pieds-noirs, rapatriés ou pro-Algérie française, tous représentent ce lien direct de la France actuelle avec l’Algérie mais aussi l’histoire coloniale.
Ensuite, parce que l’Algérie, état souverain, est régulièrement pointée pour son manque de coopération avec la France. A commencer par la question mémorielle. Le 30 septembre 2021, le président Macron avait lâché devant des “petits-enfants” issus de la guerre d’Algérie que “la nation algérienne post-62 s’est construite sur une rente mémorielle”. Cette déclaration a été perçue par les autorités d’Alger comme une insulte au combat pour l’indépendance. Le président Abdelmajid Tebboune avait, entre autres, fermé son espace aérien aux avions militaires français opérant dans le nord du Mali.
Un précédent qui illustre la relation glissante des deux Etats dont le passé colonial reste le principal caillou dans la chaussure. Si l’épisode actuel prend des allures de rupture consommée- accélérée par le soutien de Macron à la marocanité du Sahara occidental- rappelons que cette relation est jalonnée de crises plus ou moins aigües depuis les années 70.
Au début de cette décennie, la place des entreprises françaises dans le secteur pétrolier algérien est au cœur des tourments. Les négociations échouent face à l’Etat, fraîchement indépendant alors que le président Boumediene, soucieux d’affirmer sa souveraineté, prend une décision unilatérale et nationalise les hydrocarbures. Les frictions perdurent et atteignent, à nouveau, leur paroxysme quand le 14 décembre 1973, un attentat cible le consulat d’Algérie à Marseille, tuant 4 personnes. Revendiquée par le Club Charles Martel, l’organisation qui regroupe des anciens Français d’Algérie, elle est perpétrée suite à une vague de racisme anti-algériens identifiée dès l’été 73.

TRT Global - L'Algérie "rejette catégoriquement les ultimatums et les menaces" de la France, a déclaré jeudi le ministère algérien des Affaires étrangères, après que Paris a menacé de remettre en cause les accords de 1968 qui accordent un statut particulier uniqu
Qu’en est-il, alors, de la relation franco-algérienne ? Les origines de cette énième crise reposent-elles sur le scandale suscité par les “fameux influenceurs” algériens dont Doualemn et son renvoi avorté en Algérie et qui a mis Bruno Retailleau dans l’embarras ? La question des OQTF utilisés, selon certains, comme un moyen de pression par Alger, suffit-elle à comprendre le bras de fer que B.Retailleau semble bien décidé à mener ?
Sur ce point, les chiffres éclairent la réalité. En 2024, sur les 5000 demandes de laissez-passer consulaires requis pour réaliser une OQTF, 42% ont été délivrés par les autorités algériennes, avance le site France Info qui relaie les données de la direction générale des étrangers en France (DGEF) sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Sur son site, ce même ministère avance le nombre de 2999 Algériens qui ont fait l’objet en 2024 d’une mesure d’éloignement contre 1658 marocains et 1295 tunisiens. Mauvaise foi d’Alger ou outrepassement du droit de Paris ? A lire la minutie juridique des communiqués de presse publiés par les autorités algériennes en plein dans l’affaire Doualemn, la situation semble complexe. D’ailleurs, le tribunal administratif de Melun a annulé l’OQTF de Doualemn, le 6 février, un désaveu pour Bruno Retailleau. Les déclarations du président Macron depuis Lisbonne viendront également faire écho à ce désaveu.
L’impression, ainsi, d’une valse à deux temps prédomine. D’un côté, un ministre décidé à régler ses comptes avec l’Algérie à laquelle il ne pardonne pas l’emprisonnement de l’écrivain Boualem Sansal. Dans cette attitude, d’aucuns voient une instrumentalisation de la question migratoire, sorte de Graal pour tout candidat (déclaré ou non) à l’élection présidentielle. Sur ce chemin, il espère bien ravir la présidence des LR à Laurent Wauquiez, à la tête de la Droite républicaine et dont il s’échine à rebâtir la superbe. Ce dernier qui lorgne aussi sur 2027 y voit désormais un rival bien médiatique et qui pourrait tirer de son affrontement avec l’Algérie un titre de noblesse.
D’autre part, les déclarations de Macron, à Lisbonne, appelant à agir conformément “aux accords signés en 1994” tout en saluant “la coopération qui existe” entre les deux Etats, mettent à jour la scission implicite entre le Président de la République et le ministre de l’Intérieur, lui-même soutenu par Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères et François Bayrou, chef du gouvernement, qui a donné un délai de 4 à 6 semaines à Alger pour récupérer ses ressortissants clandestins. Restées vaines, ces menaces masquent mal une forme de déroute de l’Exécutif français sur le dossier algérien.
Quoiqu’il en soit, le chef de l’État semble avoir tranché. Dans une interview accordée au journal français Le Figaro lundi, Emmanuel Macron a rappelé son rôle. “Chacun ses compétences. L’accord de 1968, c’est le président de la République”. Une façon claire de rappeler que l’Algérie et la diplomatie n'est pas la chasse gardée de Bruno Retailleau. Mais la sienne.