FRANCE
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“Bloquons tout”: une couverture médiatique au service de la “cour”
Accusé de minimiser les revendications sociales et de relayer le récit sécuritaire du gouvernement, la presse française se voit reprocher un “journalisme de cour”, “réactionnaire”, au service de l’ordre et la police.
“Bloquons tout”: une couverture médiatique au service de la “cour”
La CGT a critiqué le journal de France 2, l’accusant de présenter une vision “biaisée” des mobilisations et de se placer “du côté de la police”. / AFP
il y a 9 heures

Le 10 septembre 2025, le mouvement citoyen “Bloquons tout” a mobilisé des milliers de personnes à travers la France pour protester contre les politiques d’austérité, les inégalités croissantes et la crise politique marquée par la chute du gouvernement de François Bayrou.

Cette journée d’action, marquée par des blocages de routes, d’écoles, de gares et de raffineries, a suscité une couverture médiatique largement critiquée pour son manque d’équilibre, sa dramatisation et son biais pro-gouvernemental. 

Lancé sur les réseaux sociaux en juillet 2025, le mouvement “Bloquons tout” appelait à une grève générale et à des blocages massifs pour exiger un changement radical des politiques économiques et sociales.

Selon le ministère de l’Intérieur, entre 175 000 et 200 000 personnes ont participé à environ 850 actions à travers le pays, avec 540 interpellations et 415 gardes à vue.

Les syndicats, comme la CGT, estiment une participation supérieure à 250 000 personnes. 

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La CGT dénonce une couverture “réactionnaire”

La couverture des manifestations a suscité de vives critiques, tant de la part des manifestants que des observateurs. 

Bien avant même les manifestations de ce 10 septembre, dès l’été 2025, des médias comme TF1 Info, LCI ou Le Figaro avaient qualifié le mouvement de “nébuleux” ou “extrémiste”, suggérant des influences d’ultragauche ou de La France insoumise (LFI).

À l’approche du 10 septembre, des éditoriaux hostiles, dénoncés par l’observatoire Acrimed, ont appelé à l’échec du mouvement. A titre d’exemple, des titres ont présenté les manifestants comme des “bloqueurs” menaçant l’ordre public, tout en occultant leurs revendications. 

Dans un communiqué publié le 10 septembre, la CGT a vivement critiqué le journal télévisé de France 2 diffusé la veille au soir, l’accusant de présenter une vision “biaisée” des mobilisations sociales et de se placer “du côté de la police”.

Selon le syndicat, l’édition du 9 septembre, présentée par Léa Salamé, a consacré un sujet à la mobilisation nationale “Bloquons tout !” du 10 septembre sans en exposer les revendications. 

“Alors que selon les instituts de sondage, près d’un Français sur deux soutient le mouvement, le journal occulte totalement les raisons de la colère populaire”, écrit la CGT. 

Le traitement éditorial s’est limité aux perturbations et aux moyens de maintien de l’ordre selon le syndicat.

Le passage sur le dispositif policier est particulièrement pointé du doigt. Le communiqué accuse France 2 de mettre en scène “un étalage des moyens de répression que pourront utiliser les policiers, comme s’ils n’avaient en face d’eux que des casseurs, des voyous et des black blocs, et non des citoyens avec des revendications légitimes”.

Le syndicat reproche également à la rédaction de ne pas avoir rappelé que “depuis que Macron est au pouvoir, la répression policière n’a jamais été aussi violente, avec des dizaines de personnes mutilées et éborgnées, et même trois personnes tuées depuis 2015”.

“Journalisme de cour”

Autre critique : l’absence de mention de la note envoyée cet été par le ministère de l’Intérieur aux forces de l’ordre. D’après la CGT, ce document “ne prend plus en compte le statut de journaliste en cas de violences urbaines”, ce qui inquiète les organisations professionnelles.

Le syndicat estime qu’un mot de solidarité de la rédaction envers les reporters aurait été “le bienvenu”, d’autant qu’un policier interrogé à l’antenne affirme : “On va être à la limite entre le maintien de l’ordre et les violences urbaines”.

La confédération accuse enfin France 2 d’avoir donné une image déformée du mécontentement social, en ramenant les revendications du mouvement à des slogans fiscaux.

“Le téléspectateur est incité à faire un lien entre le mouvement “Bloquons tout” et l’extrême droite, puisque les seules revendications exprimées sont celles du “trop d’impôts” et du ‘Nicolas qui paie’”, déplore la CGT. “Rien sur le naufrage des services publics, les milliardaires qui se gavent, les vraies revendications de gauche”, poursuit-elle.

Le communiqué conclut en fustigeant la séquence finale du JT consacrée à l’intervention du cardinal Jean-Marc Aveline Bustillo, présenté comme une figure médiatique : “Ce journal pitoyable se termine par l’onction du cardinal Bustillo, un Richard Gere en soutane, qui nous prie de sortir de la lutte des classes”.

“Félicitations pour ce journal d’Ancien Régime, pour ce journalisme de cour”, ironise la CGT, dénonçant un “mépris pour les citoyens qui regardent encore le 20h et pour les journalistes qui continuent de faire leur travail”.

Sur X, de nombreux internautes ont également accusé les médias de complaisance envers le pouvoir, transformant la couverture en une forme de “propagande sécuritaire”.

Ces mêmes médias ont souvent repris sans recul les déclarations du gouvernement, notamment celles du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, qui s’est félicité de la “mise en échec” des bloqueurs.

Les chiffres officiels (175 000 manifestants) ont été privilégiés par des médias comme Franceinfo, au détriment des estimations syndicales plus élevées. Cette couverture a renforcé l’idée d’un engagement délibéré au discours officiel, minimisant l’ampleur des 700 points de mobilisation, y compris dans les petites villes.

Des figures comme Jean-Luc Mélenchon ont été dépeintes comme des “récupérateurs”, tandis que les initiatives citoyennes locales ont été sous-représentées.

Contrairement au mouvement des Gilets jaunes de 2018, où les médias avaient été pris de court, “Bloquons tout” a bénéficié d’une couverture anticipée, mais centrée sur la surveillance et les risques de “sabotage”.

Selon Mediacités, cette hyper-attention reflète un alignement sur l’agenda politique, où la crise institutionnelle, notamment le rejet de confiance au gouvernement Bayrou, éclipse la crise sociale. 

Le 11 septembre 2025, des assemblées générales se sont tenues pour planifier la suite du mouvement, mais la couverture médiatique reste scrutée. Le Syndicat national des journalistes (SNJ) a de son côté dénoncé les violences contre les reporters lors des manifestations, tout en plaidant pour une couverture équilibrée.

SOURCE:TRT Français
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