TURQUIE
6 min de lecture
Comment la Turquie aide la Syrie à reconstruire son secteur énergétique ravagé par la guerre
Avec le lancement d’un nouveau gazoduc entre Kilis et Alep, la Turquie a commencé à acheminer du gaz naturel azerbaïdjanais vers la Syrie — avec pour objectif d’alimenter cinq millions de foyers et de relancer des centrales électriques à l’arrêt.
Comment la Turquie aide la Syrie à reconstruire son secteur énergétique ravagé par la guerre
Le ministre turc de l’Énergie, Alparslan Bayraktar, a annoncé que les premières livraisons de gaz étaient arrivées en Syrie. / AA
il y a un jour

Esra Karataş Alpay - TRT World

L’accord conclu entre la Turquie et la Syrie sur l’approvisionnement en gaz naturel marque une évolution du rôle d’Ankara, désormais à la fois acteur humanitaire et médiateur énergétique dans la région. Ce projet est perçu par les analystes comme une étape majeure dans la reconstruction des infrastructures énergétiques d’un pays meurtri par plus d’une décennie de guerre.

Le ministre turc de l’Énergie et des Ressources naturelles, Alparslan Bayraktar, a annoncé que les premières livraisons de gaz azéri étaient arrivées en Syrie via le gazoduc Kilis–Alep, récemment restauré après de longs travaux. 

Lors de la cérémonie d’inauguration dans la province frontalière turque de Kilis, il a qualifié ce moment d’”historique”, soulignant qu’il reflète à la fois les capacités techniques de la Turquie et son engagement humanitaire pour la stabilité régionale.

Selon l’accord, jusqu’à 2 milliards de mètres cubes (m³) de gaz naturel seront exportés chaque année vers la Syrie — soit de quoi fournir de l’électricité à environ cinq millions de foyers.

En RelationTRT Global - La Turquie relance les corridors de transport avec la Syrie

Les flux initiaux, d’environ 6 millions de m³ par jour, alimenteront d’abord Alep, dans le nord de la Syrie, puis atteindront Homs, au centre du pays, permettant la remise en service de centrales électriques à l’arrêt depuis des années. Ces livraisons devraient tripler l’approvisionnement moyen quotidien en électricité dans un pays où de nombreuses régions ne disposaient que de 3 à 4 heures de courant par jour depuis 2011.

“Le gaz que nous envoyons, ce n’est pas seulement de l’énergie — c’est la lumière, c’est la vie, c’est un message de solidarité. La Turquie est déterminée à aider la Syrie à se relever, pas à pas”, a déclaré Bayraktar.

Pour les analystes, en restaurant des infrastructures vitales et en nouant des partenariats transfrontaliers, Ankara renforce sa diplomatie énergétique et affirme son influence.

“Nous assistons à l’émergence de la Turquie comme intégrateur énergétique régional”, affirme Oguzhan Akyener, président du Centre turc de recherche sur les stratégies et politiques énergétiques (TESPAM).

“Ce n’est pas seulement une affaire de kilowatts ou de tuyaux — il s’agit de reconstruire des vies, d’instaurer la paix et de créer de l’interdépendance là où régnait le conflit”, explique-t-il à TRT World.

En RelationTRT Global - Erdogan promet son soutien à Al-Charaa et rejette la fragmentation de la Syrie

Des ruines à la reconstruction

Les infrastructures énergétiques syriennes, autrefois fonctionnelles, ont été largement détruites par plus de dix ans de guerre. Centrales électriques, réseaux de gaz naturel et lignes haute tension ont été endommagés ou rendus inopérants. Les pénuries d’électricité ont paralysé la vie quotidienne, même dans des villes majeures comme Damas.

La chute du régime baasiste en décembre 2024 a ouvert une période de transition durant laquelle la reconstruction du secteur énergétique est devenue une priorité. Grâce à sa proximité géographique et à son expertise technique, la Turquie s’est imposée comme un partenaire clé.

“La Turquie a toujours assumé ses responsabilités à chaque étape du processus de reconstruction syrien. Son expérience et son savoir-faire sont désormais partagés de l’autre côté de la frontière pour aider un voisin à se relever”, souligne Akyener.

Avant même cet accord gazier formel, la Turquie exportait déjà de l’électricité vers le nord de la Syrie via huit points distincts. Ces flux sont désormais augmentés d’au moins 25 %, avec des plans à long terme visant à doubler la capacité.

“À ce stade, on ne parle plus d’aide d’urgence. C’est une stratégie de reconstruction complète — de la production d’électricité à l’infrastructure de transport, avec en ligne de mire la création d’un véritable marché de l’électricité”, précise Akyener.

Un partenariat régional

Ce projet est issu d’un partenariat énergétique trilatéral entre la Turquie, l’Azerbaïdjan et le Qatar, le gaz azerbaïdjanais étant la source principale. Les livraisons s’effectuent dans le cadre d’un accord de swap entre Ankara et la compagnie pétrolière nationale d’Azerbaïdjan.

“L’Azerbaïdjan signe l’accord avec la Syrie, mais le gaz est livré via la Turquie grâce à un mécanisme d’échange. Bakou envoie le gaz à la Turquie, qui, en utilisant ses infrastructures internes, livre le même volume à la Syrie. Ce type d’échange nécessite un réseau de gazoducs et un système de compression très avancé — que la Turquie a construit au fil des ans”, explique Akyener.

Ce modèle a déjà été utilisé plus tôt cette année pour alimenter Nakhitchevan, l’exclave azerbaïdjanaise, via le gazoduc Igdir–Nakhitchevan, et s’inspire d’un autre accord tripartite entre la Turquie, l’Iran et le Turkménistan.

“Ce projet reflète notre unité sous la devise ‘deux États, une nation’”, a déclaré Bayraktar en présence du ministre de l’Économie d’Azerbaïdjan, Mikayil Jabbarov, et du président du Fonds de développement du Qatar, Fahad Hamad Al-Sulaiti, tous deux présents à la cérémonie.

La contribution du Qatar, à la fois stratégique et financière, a joué un rôle clé dans l’accélération du projet. “Ensemble, avec nos partenaires qataris et azerbaïdjanais, la Turquie agit rapidement pour transformer une zone de crise en espace de coopération”, a ajouté Bayraktar.

Par ailleurs, des discussions sont en cours pour renforcer à terme l’approvisionnement syrien avec du gaz qatari via la Jordanie, mais les responsables turcs affirment que les infrastructures d’Ankara offrent, à ce stade, une solution plus rapide et plus efficace.

Alimenter la reprise de la Syrie

Selon les responsables du projet, la première phase de l’approvisionnement en gaz concerne Alep, mais les infrastructures sont déjà en cours d’extension vers Homs, puis vers d’autres régions plus larges du pays. Le volume de gaz livré permettrait d’activer près de 1 200 mégawatts de capacité de production électrique — une augmentation significative de la disponibilité en énergie.

“Sans alimentation électrique fiable, la reconstruction est impossible. Cette initiative à elle seule permettra d’augmenter de plusieurs heures par jour l’accès à l’électricité, offrant un véritable souffle de vie aux hôpitaux, aux écoles et aux foyers” explique Oguzhan Akyener.

Les autorités insistent également sur le fait que le projet ne se limite pas à un soutien de court terme. La Turquie envisage une intégration progressive de l’ensemble du réseau électrique syrien, avec la remise en service des centrales à l’arrêt et — à plus long terme — la récupération des infrastructures actuellement sous contrôle du groupe terroriste PYD/YPG.

“L’objectif ultime n’est pas seulement de fournir du gaz, mais de rétablir un marché énergétique durable en Syrie. Avec des avancées supplémentaires — notamment en matière de paix et de sécurité régionales — les ressources pétrolières et gazières nationales de la Syrie pourraient elles aussi être exploitées à l’avenir. Mais pour cela, la région doit d’abord être débarrassée de toute menace terroriste”, souligne Akyener.

Alors que le gaz commence à affluer vers Alep et que la lumière revient peu à peu dans les foyers et les hôpitaux syriens, le gazoduc incarne bien plus qu’une infrastructure : il symbolise un nouvel équilibre régional et un premier pas vers la longue et difficile reconstruction du pays.

SOURCE:TRT français et agences
Jetez un coup d'œil sur TRT Global. Partagez vos retours !
Contact us