TURQUIE
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La femme turque qui a défié le coup d’État avec son sang et sa détermination
Lorsque femmes et enfants se sont dressés contre une tentative de coup d’État sanglante en 2016, leur courage, leur détermination et leur sacrifice sont devenus des symboles indélébiles de la mémoire collective de la Turquie.
La femme turque qui a défié le coup d’État avec son sang et sa détermination
Des femmes en première ligne lors de la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016 en Turquie. / AA
15 juillet 2025

Par Edibe Beyza Caglar

Il y a neuf ans, dans la nuit du 15 juillet 2016, la Turquie a vécu l’un des chapitres les plus sombres – et les plus héroïques – de son histoire moderne. 

Une faction de l’armée, affiliée à l’Organisation terroriste de Fetullah (FETO), a tenté de s’emparer du pouvoir par la force. Les soldats putschistes ont ciblé des institutions gouvernementales clés par voie aérienne et terrestre, et ont attaqué des civils non armés qui se sont retrouvés face à des chars et des fusils automatiques.

De nombreux civils ont afflué dans les rues après que le président Recep Tayyip Erdogan a appelé la nation à résister. S’exprimant en direct alors qu’il se rendait de Marmaris à l’aéroport d’Istanbul, il a exhorté les citoyens à se dresser contre le coup d’État à ses côtés.

 Des ordres qui circulaient parmi les instigateurs, étaient explicites : un commandant du coup d’État a ordonné de tirer sans pitié :

“Il y a une foule qui résiste, tirez directement sur eux, il n’y a aucun pardon pour aucun d’eux. Aucun”. 

La femme qui a dit à un soldat : “Je t’ai mis au monde, mon fils” ne cherchait pas simplement à le raisonner ; elle invoquait le code partagé du sacrifice maternel et du service militaire.

La réponse du putschiste était : « Dieu nous pardonnera, ne t’en fais pas. » 

Confronté à une résistance déterminée des civils et des forces de police, le coup d’État a échoué. Mais pas avant que 253 personnes ne soient tuées. Parmi elles, onze femmes, des enfants, des policiers, et des centaines d’autres blessés. 

Sur le pont du Bosphore, désormais renommé pont des Martyrs du 15 Juillet, deux femmes, Ayşe Aykaç (44 ans) et Sevgi Yeşilyurt (51 ans), ont été tuées.

Aykaç, mère de quatre enfants, avait quitté son domicile après avoir écouté l’allocution télévisée du président Erdogan. Yeşilyurt, mère de deux enfants, en avait fait autant. Toutes deux ont été abattues par des soldats putschistes sur le pont.

Les plus jeunes parmi les femmes martyres étaient Kübra Doğanay et Cennet Yiğit, deux policières de 23 ans, camarades de promotion et collègues, elles aussi tombées dans la résistance.

TRT World s’est entretenu avec certaines des femmes ayant survécu à cette nuit, ainsi qu’avec les proches des femmes martyres, qui incarnent, elles aussi, l’esprit de la résistance.

“Si nous restons, la patrie est à nous”

L’image de résistance la plus marquante de cette nuit est peut-être celle d’Adviyye Gül İsmailoglu, originaire de Fatih, à Istanbul. Elle n’avait que 14 ans au moment du coup d’État.

“Nous n’avions que notre drapeau à la main et des slogans à scander “les soldats dans les casernes”, raconte-t-elle à TRT World.
“Je pensais qu’ils ne feraient rien de mal, qu’ils ne tireraient pas sur les gens qui se tenaient devant eux”.

C’est une image profondément décalée face à la violence qu’elle a rencontrée.

“Il y avait environ 150 citoyens autour de nous. Nous avons vu des traîtres en uniforme former une barricade et empêcher les gens d’aller du côté de la municipalité”, dit-elle, ajoutant :
“Ils ont commencé à tirer sur les citoyens, directement pour tuer”.

La balle qui a traversé son dos, laissant un trou d’environ quinze centimètres, a épargné sa colonne vertébrale mais a endommagé ses poumons. Elle a passé une semaine dans le coma.

Elle n’était cependant pas inconsciente au moment de la blessure.

“Cette nuit-là a été un tournant pour moi, comme elle l’a été pour la Turquie”, dit-elle. Elle a terminé son récit par une citation de Yavuz Sultan Selim Han :
“Si nous mourons, le paradis est à nous ; si nous restons, la patrie est à nous”.

“J’ai perdu mon pilier, mais pas mon pays”

D’autres, comme Turkmen Tekin, une mère de 46 ans et mère de trois enfants, ont réagi instinctivement aux événements de cette nuit-là.
“Le pays est en train d’être perdu, nous devons agir maintenant”, avait-elle lancé à son mari.

Laissant ses trois enfants endormis, elle avait fait ses ablutions (lavage rituel avant la prière) et avait remis les clés de la maison à sa belle-sœur, lui demandant de s’occuper des enfants. Son plus jeune enfant n’avait que 11 ans.

“Ma femme était tellement déterminée qu’elle n’a même pas mis ses chaussures. Elle n’a pas pris le temps de s’habiller correctement”, raconte Ramazan, le veuf de Tekin, à TRT World.

Ils se sont d’abord rendus au poste de police local à Esenler, un district d’Istanbul sur la rive européenne, puis se sont dirigés vers l’aéroport Atatürk après avoir appris où se trouvait le président, espérant le rejoindre là-bas.

“Nous sommes descendus dans les rues pour notre patrie, pour notre drapeau, pour l’appel à la prière. Je n’ai jamais ressenti de regret ni pensé : “Pourquoi sommes-nous sortis ?” Parce que sans État, il n’y a pas de patrie, pas de drapeau”, ajoute-t-il.

En chemin, alors que les chars avançaient, ils ont été dépassés.

“Nous marchions, et les gens criaient : ‘un char arrive’, les uns après les autres — du moins c’est ce qu’il semblait. Dans le brouhaha de la foule, on n’entendait plus rien”.

Quand ils ont réalisé que le char se dirigeait droit sur eux, Ramazan Tekin a dit à sa femme de s’écarter.
“Les traîtres conduisaient ce char droit sur nous”, confie-t-il à TRT World.

“Quand j’ai regardé ma femme, je l’ai vue à terre”. Elle avait été mortellement frappée à la tête. Les larmes aux yeux, il raconte l’avoir tenue dans ses bras, ajoutant qu’il lui a parlé, mais qu’elle ne pouvait plus répondre.

Ils l’ont transportée à l’hôpital, mais les médecins n’ont pu que constater son décès. Il l’a tenue alors qu’elle rendait son dernier souffle, déclarant plus tard aux journalistes :
“Quand je l’ai regardée, elle avait le même sourire, la même peau blanche que le jour de notre mariage”.

Turkmen Tekin poursuit que son épouse a toujours aspiré à tomber en martyre.
“Elle disait toujours : ‘Si seulement j’étais soldat ou si je servais l’État, je pourrais devenir martyre.’ Dieu lui a exaucé son vœu”.

Il puise une force silencieuse dans le sacrifice de sa femme pour son pays, un amour qui continue de les unir.

“J’ai perdu ma femme. J’ai perdu mon pilier et mon soutien. Mais je n’ai pas perdu mon pays”.

“Que vive la patrie”

Il y a dans ces récits de l’héroïsme, du courage moral et quelque chose de lyrique : une mère qui quitte ses enfants endormis, une adolescente qui se tient fièrement face à des hommes armés, un mari portant le corps ensanglanté de sa femme à travers une foule.

Ces instants, et les récits qui les préservent, racontent la nuit où la république a failli être perdue — puis sauvée. Oublier coûterait plus cher encore que résister.

Les événements de cette nuit sont désormais inscrits dans la mémoire nationale du pays, institutionnalisés par une fête nationale et immortalisés par des récits de martyre.

L’assassinat de 253 personnes, certaines âgées d’à peine 15 ans, est commémoré. Le 15 juillet est marqué par des cérémonies, des événements commémoratifs et des interviews de survivants et de familles endeuillées.

“Vatan sağ olsun”, comme le dit un des témoins à TRT World.

“Que vive la patrie”.

SOURCE:TRTWorld
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