Un tribunal français a condamné trois personnes à de la prison ferme pour avoir exploité une cinquantaine de travailleurs, en majorité sans-papiers africains, dans des conditions inhumaines lors des vendanges de 2023 dans le vignoble champenois. Quatre personnes travaillant à la récolte du raisin sont décédées lors de ces mêmes vendanges, lors d'un mois de septembre particulièrement chaud.
Trois personnes ont été condamnées lundi en France à de la prison ferme pour traite d'êtres humains, après avoir exploité et hébergé dans des conditions indignes, lors de vendanges dans le prestigieux vignoble de Champagne, une cinquantaine de travailleurs, souvent des migrants sans-papiers venus d'Afrique.
Principale prévenue, la dirigeante d'une société de prestations viticoles a été condamnée par le tribunal de Châlons-en-Champagne (nord-est) à quatre ans de prison, dont deux ferme avec mandat de dépôt.
Également poursuivie pour travail dissimulé, emploi d'étrangers sans autorisation et avec une "rétribution inexistante ou insuffisante", elle avait nié lors du procès, le 19 juin, être à l'origine des conditions d'hébergement des vendangeurs et renvoyé la balle aux deux autres prévenus.
"Ma cliente est la coupable idéale pour une filière qui a longtemps fermé les yeux sur ses propres pratiques", a déploré son avocat, Bruno Questel. Estimant la décision "injuste", il a annoncé qu'il ferait appel.
Les deux co-prévenus de sa cliente, des trentenaires jugés pour avoir recruté les vendangeurs en région parisienne, ont été condamnés à un an de prison ferme et respectivement deux ans et un an de sursis.
Les prévenus devront également verser 4 000 euros à chaque victime.
"Esclaves"
"Cette décision est satisfaisante pour nous. Les gens travaillaient vraiment dans de très mauvaises conditions, cette décision est juste", a réagi l'une des victimes, Amadou Diallo, originaire du Sénégal, 39 ans.
"C'est une décision exemplaire", a renchéri l'avocat des victimes, Maxime Cessieux. "C'est assez historique dans le cadre de dossiers de traite dans le monde du travail", a-t-il estimé.
Des mois d'enquête ont permis de révéler les conditions d'hébergement et de travail sordides imposées aux migrants employés et d'identifier 57 victimes, pour la plupart en situation irrégulière, originaires du Mali, de Mauritanie, de Côte d'Ivoire ou encore du Sénégal.
Les vendangeurs, logés dans une maison en travaux et un hangar, dormaient sur des matelas gonflables à même le sol, utilisaient des douches de fortune, des toilettes inutilisables et vivaient au milieu de nombreuses anomalies électriques.
"Ils nous mettent dans un bâtiment abandonné, pas de nourriture, pas d'eau, rien du tout. Et puis on nous amène [...] pour faire des vendanges de 5 heures du matin jusqu'à 6 heures du soir", avait témoigné auprès de l'AFP Modibo Sidibe, l'un des vendangeurs, lors du procès. Une autre victime, Camara Sikou, a résumé leurs conditions devant le tribunal en trois mots : "comme des esclaves".
La justice a par ailleurs exigé la dissolution de la société de prestations viticoles de la principale prévenue et condamné une coopérative vinicole, également poursuivie, à une amende de 75 000 euros.
"Vendanges de la honte"
Les vendanges de septembre 2023 "vont être scrutées à la loupe et personne ne pourra se cacher derrière son petit doigt en disant « je ne savais pas, je ne comprenais pas, je ne savais pas qui étaient ces gens qui étaient dans mes vignes »", a prévenu Me Cessieux, avocat des parties civiles.
Pour la première fois dans un procès sur la question des vendangeurs, le Comité Champagne, qui représente 16 200 vignerons, 130 coopératives et 370 maisons de Champagne, s’est constitué partie civile.
"Nous nous devions de nous tenir aux côtés des victimes. On ne joue pas avec la santé et la sécurité des saisonniers. On ne joue pas non plus avec l’image de notre appellation", a réagi le Comité après le jugement. "Nous nous porterons systématiquement partie civile si d'autres affaires donnent lieu à des poursuites judiciaires", a-t-il ajouté.
Quatre personnes travaillant à la récolte du raisin sont décédées lors de ces mêmes vendanges en 2023 dans la région, lors d'un mois de septembre particulièrement chaud, ce qui leur a valu le surnom des "vendanges de la honte".
Par ailleurs, une autre affaire liée aux vendanges de 2023 doit être jugée le 26 novembre : une entreprise prestataire et son gérant à Châlons-en-Champagne sont poursuivis pour avoir hébergé dans des conditions indignes au moins une quarantaine d'Ukrainiens.