Une ambiance survoltée et un slogan régulièrement scandé : “Retailleau président !” La quasi-totalité de l’intelligentsia islamophobe française était réunie ce mercredi 26 mars au Dôme de Paris (Porte de Versailles) pour accueillir le meeting “Agir ensemble”.
Présenté comme une mobilisation citoyenne contre “l’islamisme”, cet événement cachait pourtant une réalité moins reluisante : le lobbyiste pro-israélien “Elnet France” (European Leadership Network), connu pour ses liens étroits avec le gouvernement de Benjamin Netanyahu et son influence sur la classe politique française, en était le parrain.
Deux ministres du gouvernement Bayrou étaient ainsi présents : le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et Manuel Valls, ministre de l’Outre-mer. Bruno Retailleau a été largement applaudi et a même lancé: “A bas le voile !” Cette manifestation pose en tout cas la question de l’ingérence supposée d’intérêts étrangers dans les affaires politiques françaises.
Un collectif “indépendant” piloté par Elnet
Dès son lancement en décembre 2023, “Agir ensemble” affichait un objectif martial : “combattre l’islamisme, tel un dôme de fer”, en référence explicite au système de défense antimissile israélien. Si les médias mainstream ont relayé l’événement sans en questionner les organisateurs, une enquête de Médiapart a révélé que le collectif est un satellite d’Elnet France (European Leadership Network), réseau actif dans la promotion des intérêts israéliens en Europe.
En témoigne la double casquette de Lionel Cohen, responsable du site internet d’”Agir ensemble”, et également administrateur de celui d’Elnet. Les dons perçus par ce collectif transitent par la fondation Harévim, qui a élu domicile dans un cabinet d’avocats parisien proche d’Elnet, toujours selon l’enquête de Mediapart.
Arié Bensemhoun, président d’Elnet France, figurait parmi les invités du lancement du collectif en décembre 2023, aux côtés de personnalités comme Rachel Khan, Michel Onfray ou Mohamed Sifaoui. Cette connexion est donc ouvertement assumée par Elnet : “Agir ensemble, est une initiative d’Elnet”, peut-on lire sur le site internet de ce lobby ultra sioniste.

Depuis plusieurs années, le lobby pro-israélien, European Leadership Network (Elnet), intensifie son influence sur les parlementaires français en organisant des voyages financés en Israël, afin de gagner leur soutien.
Un casting politique et médiatique très marqué à droite
Le meeting du 26 Mars a donc rassemblé un panel de figures connues pour leur combat contre “l’islamo-gauchisme” et leur soutien inconditionnel à Israël. Parmi eux, l’ancien ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, pourfendeur de “l’islamisme”, Eugénie Bastié, journaliste au Figaro, égérie des ultra conservateurs, Florence Bergeaud-Blackler, chercheuse au CNRS, décriée pour ses prises de position anti-islam et Raphaël Enthoven, philosophe, proche du Printemps républicain.
Le média Off Investigation a révélé par ailleurs qu’un conseiller ministériel, sous couvert d’anonymat a qualifié les convives de cet évènement de “gratin de l’intelligentsia anti-islam de France”.
Les ministres Retailleau et Valls en première ligne
La dimension la plus controversée de cet évènement reste indéniablement la présence en grande pompe des ministres Bruno Retailleau et Manuel Valls, même si leurs cabinets respectifs ont tenté de minimiser leurs liens avec ce groupe de pression pro-israélien. Le cabinet de Retailleau assure ainsi s’être “assuré qu’Elnet ne reçoit aucune subvention publique d’aucun État étranger”, tout en reconnaissant la “puissance invitante” du lobby.
Manuel Valls, quant à lui, entretient une relation ancienne avec Elnet. En 2023, ce lobby l’a envoyé en Israël rencontrer des familles prétendument victimes du Hamas. Les connexions entre Elnet et le gouvernement français sont en effet nombreuses : Aurore Bergé, ministre de l’Égalité a elle aussi posé avec Benjamin Netanyahou en 2019 lors d’un voyage organisé par le même Elnet. Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, a visité, quant à elle, le quartier général de l’armée israélienne en 2023, également sous l’égide d’Elnet.
Un lobby pro-Netanyahu
Derrière les discours sur le “dialogue France-Israël”, Elnet défend sans ambiguïté la politique de Netanyahu. En témoignent les propos d’Arié Bensemhoun, son directeur, qui a comparé en 2024 Gaza à l’”Allemagne nazie” et nié la distinction entre civils et combattants.
Le lobby est également accusé d’instrumentaliser des élus français. Après une visite en Israël organisée par Elnet en 2023, Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale a basculé dans un soutien inconditionnel à l’offensive israélienne à Gaza. Une position vivement dénoncée par la gauche, qui y voit un alignement sur la ligne criminelle de Netanyahu.
Un silence médiatique troublant
Malgré l’opacité entourant l’événement, aucun grand média n’a mentionné le rôle d’Elnet dans son organisation. Le Parisien, Le Figaro et BFM TV se sont contentés de relayer le casting politique sans interroger les liens du collectif avec le lobby pro-israélien. Bien que la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rappelé dans son rapport 2024 que l’antisémitisme reste majoritairement porté par l’extrême droite en France, Bruno Retailleau a balayé ces conclusions d’un revers de main, qualifiant celui-ci de “résiduel” et imputant la montée de l’antisémitisme à la communauté musulmane.

Des diplomates à la retraite, des politiciens et des analystes dénoncent un alignement disproportionné de la France sur les positions israéliennes, souvent au détriment d'une politique étrangère équilibrée.
Un lobbying à visage découvert ?
Le meeting “Agir ensemble” illustre de ce fait la stratégie d’Elnet pour infiltrer les cercles du pouvoir français. En s’appuyant sur des ministres, des intellectuels et des médias complaisants, le lobby pro-israélien parvient à imposer son récit sécuritaire et anti-Islam, tout en masquant ses objectifs géopolitiques. Pour Laurent Joly, historien spécialiste des lobbies, interrogé par Off Investigation : “Ces réseaux agissent dans l’ombre, mais leur influence est réelle. Quand des ministres participent à leurs événements, cela pose la question de leur loyauté envers l’intérêt général français.”
Alors que la France affirme défendre une position “ équilibrée” au Proche-Orient, les connexions entre Elnet et le gouvernement Bayrou risquent d’alimenter légitimement des soupçons de conflits d’intérêts révélant la porosité croissante entre diplomatie française et lobbying israélien.