En s’emparant de Goma, la plus importante ville de la République démocratique du Congo, le 31 janvier 2025, les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda, d'après les enquêtes de l’ONU, perpétuent une instabilité qui dure depuis 30 ans dans cette région d’Afrique.
À la suite du génocide rwandais en 1994, beaucoup de Rwandais de l’éthnie Hutu s'étaient réfugiés dans l’est de la RDC sous la bannière des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).
Pour Kigali, cette présence constitue une menace sécuritaire à éradiquer. Ceci pourrait expliquer le soutien du Rwanda aux rebelles du M23 pour traquer l’opposition armée installée dans l’est de la RDC, d'après le Centre d'études stratégiques pour l’Afrique (un organisme du Département de la défense des États-Unis, créé et financé par le Congrès américain, pour l’étude des problèmes de sécurité se rapportant à l’Afrique, ndlr).
Au-delà des différents épisodes de ce que les spécialistes considèrent comme “la Grande Guerre africaine”, par analogie à la Grande Guerre de 14-18 en Europe, le professeur Ekue Folly Gada, directeur de l’Institut d’études stratégiques (IES) de l’Université de Lomé, soutient que l'instabilité dans l’est de la RDC participe d’un remodelage des frontières de la RDC à l'aune des intérêts de certaines grandes puissances occidentales.
“L'État avec grand E, l'État de la région des Grands Lacs, l'État géopolitique de la région des Grands Lacs, voulu par les grands acteurs, n'est pas encore atteint. C'est-à-dire qu'il y a une situation géopolitique de cette région que les grandes puissances veulent implémenter”, explique le géostratège.
Une logique de balkanisation
Concrètement, poursuit Ekue Folly Gada “l'idée qui est derrière ce conflit, c'est l'implantation d'un État comme Israël l'est dans le Moyen-Orient, un État qui serait le pion et le pivot structurel et sempiternel de la volonté des grandes puissances qui ont en vue un projet civilisationnel hégémonique mondial”.
Cette logique ne pourrait qu'aboutir à la balkanisation de la RDC en l’amputant de la partie est, le nord et le sud Kivu respectivement.
“Le processus de guerre en cours a pour finalité l'avènement de cet État qui est le grand Rwanda. C’est ce qui explique la guerre actuelle”, précise-t-il.
Du reste, le 16 février dernier, l'Union africaine (UA) a mis en garde contre une "balkanisation" de la République démocratique du Congo (RDC), alors que des combattants du M23 alliés à des troupes rwandaises sont entrés dans Bukavu.
"Nous ne voulons pas d'une balkanisation de la RDC", a plaidé, lors d'une conférence de presse, le commissaire à la Paix et la Sécurité de l'UA, Bankole Adeoye, tout en "appelant au retrait immédiat du M23 et de ses partisans de toutes les villes occupées", sans nommer le Rwanda.
Les matières premières d’abord
Historiquement, cette espèce de fixation des puissances impérialistes sur le Congo remonte à des siècles, bien avant la conférence de Berlin de 1885 qui a consacré le partage de l’Afrique entre puissances hégémoniques.
“Le Congo avait une réputation depuis le IIIe siècle après Jésus-Christ, (...) d'être le territoire qui concentre le condensé de toutes les richesses du monde”, affirme Folly Ekue.
De nos jours, soutient-il, il est difficile de “bâtir un ordre mondial serein, structurel et durable sur la terre si l’on n'a pas le contrôle complet, général des ressources et de l'espace des grands lacs du Congo”.
Lithium, coltan, cobalt, la Banque mondiale indique que la RDC est “dotée de ressources minérales exceptionnelles”. En 1939, à l’entame de la Deuxième Guerre mondiale, Einstein attirait déjà l’attention du président américain d’alors, Roosevelt, sur l’importance stratégique de posséder l’uranium dont les meilleurs spécimens se trouvaient au “Congo belge”.
Aujourd’hui plus qu’hier, dans un contexte de lutte acharnée pour l'accès aux minerais critiques, insiste le directeur de l’Institut d'études stratégiques de l'université de Lomé, “la RDC est incontournable, même si elle ne bénéficie pas entièrement des richesses de son sous-sol”.
D'après le chercheur Thierry Vircoulon, en 2024 “les exportations rwandaises de minerais ont atteint leur apogée cette année avec 1,1 milliard de dollars. Par ailleurs, les données recueillies témoignent d’exportations toujours plus importantes”. Pour la RDC, il ne fait l’ombre d’aucun doute que ces ressources proviennent de son territoire via la contrebande. Même s’il n’a pas eu gain de cause devant les juges parisiens, Kinshasa a déposé une plainte contre Apple accusé de s'approvisionner en “minerais de sang” via le Rwanda.
“Le Rwanda fait une guerre par procuration. Il a reçu une mission”, tranche, sentencieux, le politologue qui recommande la lecture de “Crimes organisés en Afrique Centrale-Révélations sur les réseaux rwandais et occidentaux” de Honoré Ngbanda Nzambo,(le dernier patron des renseignements de l’ex-Zaïre, ndlr).
Du reste, l’Union européenne a signé en février 2014 avec le Rwanda, “un protocole d’accord” très décrié sur “les chaînes de valeurs des matières premières”.
“Le plan d'investissement de la stratégie Global Gateway de l'UE jouera un rôle clé en fournissant l'appui financier nécessaire à l'acquisition de compétences dans le secteur minier, à l'amélioration de la transparence et de la traçabilité et au soutien à la mobilisation des fonds en faveur des infrastructures”, précise la note de présentation de l’UE. Un paradoxe qui a suscité un tollé au sein des ONG, amenant les députés européens à annuler cet accord.
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