FRANCE
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Parti Socialiste : le déni obstiné du terme "islamophobie" mis à l’épreuve
Dans une tribune parue dans le magazine Marianne, des élus du Parti Socialiste rejettent le terme "islamophobie". Un déni qui sape son héritage antiraciste et légitimise un "mensonge par omission" selon le politologue Olivier Le Cour Grandmaison.
Parti Socialiste : le déni obstiné du terme "islamophobie" mis à l’épreuve
Parti Socialiste : le déni obstiné du terme "islamophobie" mis à l’épreuve / TRT Français
17 juillet 2025

L’affaire semblait réglée, mais elle resurgit avec une obstination troublante. Une tribune retentissante publiée dans l’hebdomadaire Marianne du 27 juin signée par plusieurs élus socialistes, dont Jérôme Guedj, proclame haut et fort : "Nous, socialistes, continuons à refuser le terme islamophobie". 

Cette prise de position, loin d’être un épiphénomène, révèle, selon le politologue Olivier Le Cour Grandmaison, une profonde contradiction au sein d’un parti historiquement porteur des luttes contre les discriminations. Dans une analyse mordante à TRT Français, le chercheur décrypte ce refus comme le symptôme d’un malaise idéologique et d’une soumission à "des argumentaires usés jusqu’à la corde", au détriment de la reconnaissance d’un racisme spécifique.

"Les arguments des élus PS : un catalogue de rhétorique éculée"

Les signataires de cette tribune estiment ainsi que le terme amalgamerait la critique légitime de l’islam avec un rejet des musulmans, menaçant ainsi la liberté d’expression et la laïcité. Ils sous-entendent que la notion serait importée et inadaptée au "modèle républicain" français, où seule la lutte contre le "racisme anti-musulmans" serait acceptable. 

Certains y voient un terme promu par des acteurs communautaristes ou des régimes autoritaires pour museler la critique. Pour Olivier Le Cour Grandmaison, ces arguments ne sont ni neufs ni innocents. Il les qualifie sans détour d’"arguments tout à fait éculés, qui circulent dans l’espace public depuis fort longtemps". Son analyse est implacable : ce refus relèverait d’une forme de mensonge par omission". 

Le politologue pointe du doigt l'influence déterminante de figures médiatiques comme la journaliste islamophobe Caroline Fourest dans la diffusion de cette ligne argumentative. Celle-ci s'est évertuée à construire l'idée que "le terme islamophobie en France est tout à fait singulier", suggérant qu'il serait un outil importé visant à protéger une religion des critiques légitimes, alors qu'il s'agit précisément de nommer un racisme ciblant des personnes. 

Le Cour Grandmaison rappelle avec force que l'islam est "la religion qui fait l’objet de critiques réitérées, pour ne pas dire presque hebdomadaires, de la part des élites politiques de ce pays". Ce traitement médiatique et politique disproportionné et souvent stigmatisant nourrit un climat hostile se traduisant par des discriminations concrètes dans l'emploi, le logement, l'accès aux services, et des violences physiques.

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Un déni face à la reconnaissance internationale  

Le chercheur souligne le décalage criant entre la position de ces élus PS et la réalité internationale. Il rappelle que "la catégorie d’islamophobie est utilisée" au niveau de l'Union européenne et surtout de l'ONU, qui a institutionnalisé le 15 mars comme "Journée internationale de lutte contre l’islamophobie". 

Ce refus français apparaît dès lors comme un isolement volontaire, un refus d'admettre une réalité pourtant documentée et nommée ailleurs. Le Cour Grandmaison observe également que ce refus n'est pas l'apanage du seul PS, citant aussi des réticences au Parti Communiste ou même au MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples), bien que ce dernier ait parfois utilisé le terme, notamment après des "assassinats racistes et islamophobes". Mais pour le PS, le paradoxe est particulièrement frappant.

Comment un parti qui s'est construit sur la défense des opprimés, la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, peut-il aujourd'hui refuser de nommer une forme spécifique et systémique de racisme subie par une partie significative de la population française ? 

Le comité interne de lutte contre le racisme et l'antisémitisme mentionné par Grandmaison semble impuissant face à cette frange influente du parti. Le politologue note cependant les divisions internes et le fait que des personnalités comme Olivier Faure, le premier secrétaire, aient évolué vers une reconnaissance plus nette de l'islamophobie. Cependant, la tribune de Marianne démontre qu'une tendance puissante et médiatique résiste, fragilisant la position officielle du parti et sa crédibilité sur ces enjeux.

L'angle géopolitique et l'épineux dossier Guédj

A la question : "Est-ce que les positions de Jérôme Guedj concernant Israël et son lien avec le sionisme, réel ou supposé, a un rapport avec le refus d’employer le terme islamophobie ?", il s’interroge sans établir de lien mécanique ou de causalité simple, il ouvre la porte à une réflexion sur les possibles convergences ou influences idéologiques entre une certaine ligne pro-israélienne intransigeante et le rejet d'un terme perçu (à tort) comme lié à des positions "pro-palestiniennes" ou "communautaristes". Cette interrogation, même présentée avec précaution, souligne la complexité des motivations derrière ce refus.

Le refus persistant d'une partie du Parti Socialiste d'utiliser le terme "islamophobie" n'est par ailleurs pas une simple querelle sémantique. C'est, selon l'analyse d'Olivier Le Cour Grandmaison une négation d'une réalité sociale et discriminatoire. 

"Cela revient à invisibiliser la spécificité du racisme anti-musulmans et à empêcher sa pleine prise en compte dans les politiques publiques de lutte contre les discriminations. C’est adopter des arguments qui, sous couvert de défense de la laïcité et de la République, participent en réalité du même climat de suspicion généralisée qui nourrit l’islamophobie. C’est un alignement sur des thèses réactionnaires qui fait sien un discours porté par des polémistes et des courants politiques qui instrumentalisent la laïcité contre une minorité religieuse", explique-t-il. Pour la politologue, le PS, de par ce déni, se met en dehors d’un consensus international croissant sur la nécessité de nommer et de combattre ce phénomène spécifique.

Si Olivier Le Cour Grandmaison concède qu'une évolution positive, même tardive, est toujours préférable à l'immobilisme, la persistance de ce courant réfractaire au sein du PS reste un obstacle majeur à une lutte efficace et cohérente contre toutes les formes de racisme. 

En refusant de nommer clairement l'islamophobie, ces élus socialistes ne défendent pas en effet la République ou la laïcité ; ils contribuent, souvent malgré eux, à perpétuer le déni et l'impunité qui entourent un racisme bien réel et dévastateur. Le courage politique consisterait à dépasser les peurs et les héritages rhétoriques usés pour affronter cette réalité avec les outils conceptuels et les mots justes, ceux reconnus par ceux qui subissent cette discrimination et par les instances internationales. Jusqu'à présent, pour une frange significative du PS, ce courage fait encore défaut.


SOURCE:TRT Français
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