AFRIQUE
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Le gazoduc transsaharien prend forme
Le gazoduc démarrera du Nigéria pour atteindre la mer méditerranée ; en traversant 1 030 Km sur le territoire nigérian, 800 Km au Niger et près de 2 300 Km en Algérie. Le but étant de transporter près de 30 milliards de M3 de gaz annuellement.
Le gazoduc transsaharien prend forme
Des installations de la Sonatrach, la compagnie algérienne qui gère les hydrocarbures du pays. / others
11 mars 2025

Par Ali Boukhlef à Alger

Après plus de quinze ans de réflexions et parfois d’atermoiements, l’Algérie, le Niger et le Nigeria ont signé le 11 février à Alger les trois derniers chapitres de l’accord qui leur permettra de réaliser, à terme, les 4 128 Km de gazoduc qui devra acheminer du gaz nigérian vers l’Europe, en passant par le Niger et l’Algérie.

“Chaque État s'engage à contribuer à la réalisation de ce projet intégré, de manière accélérée, étant un projet bénéfique pour nos peuples”. Porté par l’enthousiasme de voir son pays jouer un rôle de chaînon important dans le gazoduc transsaharien, le ministre nigérien du Pétrole Sahabi Oumarou cachait à peine son émotion au sortir de l’audience que venait de lui accorder le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, ce 11 février au Palais d’El Mouradia, sur les hauteurs d’Alger. 


Le responsable nigérien, dont le pays sera traversé par un linéaire de 800 km de ce gazoduc, avait signé, quelques heures plus tôt, un accord majeur avec le ministre algérien de l'Énergie, Mohamed Arkab, et le ministre d'État chargé des Ressources pétrolières de la République fédérale du Nigéria, Ekperikpe Ekpo. Il s'agit de l'accord le plus significatif conclu entre les trois pays depuis quinze ans.

Il s’agit d’un contrat “de mise à jour de l’étude de faisabilité”, un contrat “de compensation” et un accord de “non-divulgation”. La mise à jour de l’étude de faisabilité permettra de définir “les moyens nécessaires pour accélérer la réalisation de ce projet important dans un délai raisonnable et à des coûts concurrentiels afin d’assurer l’approvisionnement des marchés énergétiques”, a indiqué le ministre algérien de l’Energie et des Mines, Mohamed Arkab, aux médias.

Concrètement, le gazoduc transsaharien est “une autoroute” de gaz, comme l’explique pour TRT français l’expert en énergies renouvelables, Hocine Benchenine. 

Il s’agit d’un gazoduc long de 4 128 Km qui démarrera du Nigéria pour atteindre la mer Méditerranée ; en traversant 1030 Km sur le territoire nigérian, 800 au Niger et près de 2300 Km en Algérie. Le but étant de transporter près de 30 milliards de M3 de gaz annuellement. 

Cette énergie sera ensuite acheminée soit par les gazoducs qui relient déjà l’Algérie à l’Europe (l’un vers l’Italie, avec un second en construction et un autre vers l’Espagne). Certaines quantités de gaz seront également liquéfiées en Algérie, soit à Hassi-Messaoud (au Sahara) ou à Skikda (Nord-Est) avant d’être acheminée par des méthaniers vers l’Europe qui achète actuellement 25% de ses besoins de l’Algérie qui vend près de 51 milliards de M3 par an. Le reste des besoins européens sont satisfaits par la Norvège, la Hollande, le Royaume-Uni, le Qatar ou encore les Etats-Unis.

Une vieille idée…

L’idée de lancer le projet du gazoduc transsaharien n’a pas démarré en ce mois de février 2025. Les premières réunions sérieuses entre les trois pays concernés avaient commencé dès 2009. Mais les responsables du secteur gazier ont estimé que les prix du gaz pratiqués à l’époque n’étaient pas incitatifs. 

Pire, le coup du projet n'en valait pas la peine, expliquait il y a quelques mois l’ancien ministre algérien de l’Energie et ancien PDG de la société algérienne Sonatrach, Abdelmadjid Attar. Puis, l’avènement de la guerre en Ukraine, en février 2022, a fait naître un intérêt particulier pour le gaz notamment après le retrait des exportations russes. 

Des pays comme l’Italie ont tout de suite remplacé les livraisons russes par le gaz algérien que Rome expédie désormais vers d’autres pays d’Europe, devenant ainsi un hub régional. Mais les quantités exportées par l’Algérie, qui consomme en interne près de la moitié des 105 milliards de M3 qu’elle produit annuellement, ne suffisent plus.

En plus d’être une source d’approvisionnement pour l’Europe, le gazoduc transsaharien aura d’autres retombées, économiques et sociales, sur les trois pays qu’il traverse. Il permettra “d’alimenter en gaz les villes qu’il traverse”, prévoit, dans une déclaration à TRT français, ainsi Ahmed Tartar, expert algérien en énergies. Il indique que le projet créera des emplois et d’autres richesses. 

Selon des prévisions, entre 10 000 et 12 000 emplois seront ainsi générés directement, selon Hocine Benchenine. Il renforcera également “la position de l’Algérie comme partenaire fiable” pour l’Europe, indique cet expert en efficacité énergétique. Le projet donnera également la possibilité à l’Algérie de “retrouver sa profondeur africaine” notamment après le départ des Français de la région du Sahel, ajoute Ahmed Tartar qui pense également que le gazoduc suscitera des vocations chez certains pays africains qui se constitueront désormais en bloc qui défendra les intérêts de l’Afrique.

Avenir prometteur…

Cela fait-il de ce chantier un projet viable à long terme en vue de la probable disparition des énergies fossiles ? Pour Hocine Bechenine, les pays occidentaux ont fixé l’an 2050 pour la neutralité carbone. Or, “on ne peut pas passer du jour au lendemain aux énergies renouvelables” et “le gaz est là pour accompagner cette transition énergétique”, nuance-t-il. Mieux, même une fois les livraisons du gaz terminées, ces gazoducs pourront servir à transporter des énergies vertes comme l’hydrogène, rappelle Ahmed Tartar.

Il reste que ces contrats signés entre les trois pays concernés ne donnent pas de délais précis pour l’achèvement du projet. On ne connaît pas non plus le coût final du projet, la seule estimation disponible remontant à 2009 : elle était de 10 milliards de dollars.

Ce projet reste toutefois “une aubaine pour le Nigéria” qui trouve ainsi dans le Transsaharien la “voie la moins coûteuse, la plus fiable” pour exporter son gaz vers le Vieux Continent, explique Hocine Benchenine, en allusion à une proposition marocaine similaire. 

Le Maroc a lui aussi annoncé sa volonté de devenir l’aval de ce projet qui permettra à l’Europe de s’approvisionner en gaz naturel. Mais cette idée partage les experts. Certains trouvent que cette option est coûteuse et difficile à réaliser, comme Abdelmadjid Attar, ancien pdg de Sonatrach qui rappelle qu’avant d’arriver sur les côtes marocaines, “ce gazoduc doit traverser au moins 7 pays dans lesquels il existe des conflits”. Un handicap auquel s’ajoute la longueur du tracé qui dépasse 7 000 Km. Or, le gazoduc qui débouchera sur les côtes algériennes traverse seulement trois pays et il est déjà largement avancé de plus de 70% au Nigeria et autant en Algérie, précise, pour sa part, Hocine Benchenine. Il ne reste à réaliser que la partie nigérienne qui sera probablement financée par les deux autres pays, plus riches. Pour d’autres, cette complexité de la proposition marocaine a une vertu e: associer un maximum de pays africains. « Le projet du Maroc est plus complexe, car il implique plus d’une dizaine de pays. Mais par voie de conséquence, sa dynamique africaine est plus importante», résume dans ce sens Francis Perrin, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques, cité par Le Monde.


SOURCE:TRT Français
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