Parmi les défis que le chercheur identifie, la stratégie d’Israël lui semble la plus problématique. Samedi dernier, le Premier ministre israélien a déclaré que l’armée israélienne était prête à se déployer pour défendre les populations druzes syriennes de Jaramana, au sud de Damas. L’armée syrienne s’est déployée dans cette banlieue, habitée par des Druzes et des chrétiens, après des incidents qui ont eu lieu à un check-point.
“Les Druzes sont très divisés, certains sont proches des nouvelles autorités, d’autres ont pris leurs distances mais il s’y ajoute un facteur qui pourrait déstabiliser le Sud, c’est l’attitude d’Israël. Israël veut un Sud démilitarisé, cela créerait une marge de manoeuvre importante pour les acteurs armés” met en garde Thomas Pierret.
Benyamin Netanyahu a en effet déclaré le 20 février dernier que son pays n’autoriserait pas le déploiement de l’armée syrienne au sud de Damascus. Il est clair que Tel Aviv considère la région non seulement du Golan mais aussi du Horan comme sa zone d’influence et essaie de mobiliser les communautés non arabes pour jouer de son influence dans le pays.
Le ministre des Affaires étrangères turc, Hakan Fidan, a dénoncé la volonté d'expansionnisme d’Israël qui dès la chute du régime de Bachar al Assad a pris le contrôle de la zone tampon du Mont Golan.
Israël est un élément perturbateur
La question des bases américaines dans le nord de la Syrie est un autre point de tensions identifié par le chercheur de l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman. Selon Thomas Pierret, Israël souhaite clairement le maintien d’une présence américaine en Syrie. Il y aurait environ 2000 soldats américains sur le territoire syrien qui soutiennent l’organisation terroriste PKK/YPG.
Tandis que la nouvelle administration Trump n’a pas encore décidé si les troupes américaines seraient maintenues ou non, la chaîne américaine NBC News croit savoir que le département de la Défense serait en train d’étudier des plans de retrait sur 30, 60 ou 90 jours mais à ce jour aucune décision ferme n’a été prise.
La nouvelle Syrie pas à pas
Si la situation sécuritaire est encore problématique, le sujet de la reconstruction est l’autre gros dossier des nouvelles autorités damascènes. L’Union européenne a levé le 24 février dernier une grande partie des sanctions imposées à l’ancien régime. Le Conseil européen a décidé de retirer cinq entités financières (Industrial Bank, Popular Credit Bank, Saving Bank, Agricultural Cooperative Bank et Syrian Arab Airlines) de la liste des entités soumises au gel des fonds et des ressources économiques et a autorisé la mise à disposition de fonds et de ressources économiques à la Banque centrale de Syrie.
L'UE a également suspendu les mesures sectorielles qui frappaient le pétrole, le gaz, l'électricité et les transports et a autorisé les relations bancaires entre les banques syriennes et les institutions financières de l'UE afin de faciliter les transactions à des fins humanitaires et de reconstruction.
Le rôle pivot de la Turquie
Thomas Pierret tient à souligner le rôle central de la Turquie dans le redressement de la Syrie, Ankara ne veut pas d’un État qui s’effondre à sa frontière, mais souhaite un État stable.
“La Syrie est très dépendante de la Turquie, au niveau économique, au niveau diplomatique et sans doute au niveau militaire. Le pays est dans une situation de grande vulnérabilité notamment face à Israël dans le sud du pays. Il va avoir besoin d’un protecteur, et il n’y a pas beaucoup de pays qui se proposent pour cela. On assiste donc à un partenariat stratégique entre les deux pays.
Israël a en effet détruit une grande partie des stocks d’armes de l’ancien régime par des bombardements multiples dès la chute du régime de Bachar Al-Assad.
Dans ce contexte difficile, les nouvelles autorités syriennes qui travaillent aussi à construire un État ont organisé en février une conférence de dialogue national qui s’est réunie pendant deux jours avec 500 personnes.
“On n’est pas encore très avancés dans ce processus. Ils ont parlé de manière générale et ont abordé des principes positifs d’égalité, de justice transitionnelle, de citoyenneté mais aucune décision importante n’a été prise”, tient à souligner le chercheur.
Le président du gouvernement de transition, Ahmed al Charaa, vient de nommer une commission juridique de sept personnes qui doit écrire une déclaration constitutionnelle pour permettre aux institutions de fonctionner avec un cadre car le parlement et la constitution ont été suspendus.
“On ne sait pas pour l’instant si le président sera élu, si les partis seront autorisés, comment le parlement sera élu, ce sont des choses qui vont être discutées dans les mois, années qui viennent. Al Charaa a prévenu que ce serait long, il a donné des délais assez larges”. Al Charaa estime qu’il faudra trois ans pour promulguer une constitution et quatre années pour organiser des élections.