MOYEN-ORIENT
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À la Knesset, les députés palestino-israéliens dans le viseur, pour avoir défendu les musulmans
Les députés palestino-israéliens font l’objet de ce qui ressemble à une campagne bien orchestrée de discrimination, fondée sur l’idée que le Parlement israélien n’appartiendrait qu’à une partie de la population.
À la Knesset, les députés palestino-israéliens dans le viseur, pour avoir défendu les musulmans
À la Knesset les députés palestino-israéliens sont constamment pris pour cibles. / Reuters
3 juillet 2025

Par Kazim Alam

À la Knesset, ce Parlement israélien souvent présenté par les pays occidentaux comme un modèle de démocratie au Moyen-Orient, un phénomène inquiétant perdure : les députés palestino-israéliens y sont constamment pris pour cibles, en particulier lorsqu’ils dénoncent les violations des droits humains commises par Israël à Gaza ou dans les territoires palestiniens occupés.

Dernière cible en date : Ayman Odeh, leader de l’alliance politique Hadash, menacé d’expulsion imminente de la Knesset par ses collègues juifs. Loin d’être un cas isolé, cette procédure semble s’inscrire dans une campagne organisée.

“Odeh n’est pas une exception. Tous les députés arabes vous diraient qu’ils ont subi l’incitation à la haine et la violence”, affirme Sami Abu Shehadeh, ancien député et dirigeant du parti palestino-israélien Balad, interrogé par TRT World.

Les Palestiniens citoyens d’Israël, en grande majorité musulmans, sont environ 1,6 million — soit 21% de la population. Parmi eux, huit sur dix sont musulmans, les autres étant chrétiens ou druzes.

Shehadeh qualifie la démocratie israélienne d’illusion et affirme que les députés palestino-israéliens sont systématiquement pris pour cibles par leurs collègues sionistes.

“Il règne une atmosphère où ce Parlement n’appartiendrait qu’à une partie des citoyens, uniquement aux juifs. Nous, les indigènes, ne sommes pas considérés comme faisant partie du groupe”, déplore-t-il.

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Une campagne politiquement motivée

Le 30 juin, la commission parlementaire chargée du règlement intérieur a voté à 14 voix contre 2 en faveur d’une motion visant à expulser Ayman Odeh.

“C’est une décision fasciste et raciste… Le combat oppose l’égalité à la suprématie juive, et nous ne renoncerons jamais”, a-t-il réagi sur les réseaux sociaux.

La campagne contre lui a commencé plus tôt cette année, lorsqu’il a exprimé son souhait de voir libérés à la fois les otages israéliens et les prisonniers palestiniens. Le député du Likoud Avichai Boaron l’a accusé d’établir une équivalence entre les otages et les “terroristes”, obtenant 70 signatures pour lancer la procédure d’expulsion.

Mais cette procédure —qui nécessite 90 voix— semble en violation directe de la Loi fondamentale d’Israël, qui tient lieu de quasi-constitution. Selon les juristes, un député ne peut être expulsé que s’il soutient explicitement la lutte armée contre l’État d’Israël, ce qu’Odeh n’a pas fait.

L’ONG Adalah, centre juridique indépendant, dénonce une “campagne haineuse, politiquement motivée” visant à délégitimer et à éliminer la représentation palestinienne au sein du Parlement.

Depuis qu’ils ont obtenu le droit de former leurs propres partis en 1984, les députés palestino-israéliens subissent intimidations, pressions et violences. “Nos partis sont régulièrement visés. Nous sommes parfois agressés physiquement. Les attaques verbales sont constantes”, témoigne Shehadeh.

Les organisations de défense des droits humains accusent Israël de traiter ses citoyens palestiniens comme des citoyens de seconde zone, et de pratiquer une discrimination systémique et institutionnelle.

Les parlementaires palestino-israéliens sont régulièrement soumis à un examen minutieux et constant de la part de leurs collègues juifs. Par exemple, Azmi Bishara, fondateur du parti Balad, s’est exilé en 2007 après avoir été accusé d’avoir aidé le Hezbollah lors de la deuxième guerre du Liban. Il vit désormais au Qatar.

De même, Haneen Zoabi, autre députée de Balad à la Knesset, a été suspendue pendant six mois en 2014 pour incitation présumée à la violence. Elle avait suscité l’ire de ses collègues de droite en rédigeant des articles interprétés par ses détracteurs comme des « conseils au Hamas » pour vaincre Israël. Elle a reçu des menaces de mort avant de quitter finalement la Knesset en 2019.

Ahmad Tibi et Aida Touma-Suleiman, tous deux membres de la Knesset et critiques virulents de l’occupation israélienne, ont également été suspendus à différents moments pour avoir dénoncé les politiques israéliennes à Gaza et dans les territoires palestiniens occupés.

Un harcèlement sous couvert légal

Le mécanisme juridique permettant l’expulsion de députés de la Knesset a été mis en place par la loi de suspension de 2016.

Cette loi, qui permet à 90 membres de la Knesset de destituer un collègue sur de simples allégations d’incitation ou de soutien présumé à la lutte armée, a été largement critiquée comme visant principalement les parlementaires palestino-israéliens.

Elle a ouvert la voie à un “contrôle autoritaire” de la Knesset en autorisant l’éviction de députés pour des raisons purement politiques, sans véritable procédure.

Des propositions de loi plus récentes visent à abaisser le seuil de disqualification des candidats aux élections, ciblant spécifiquement les partis palestino-israéliens pour des actes tels que la visite aux familles de prisonniers palestiniens.

Le Comité central des élections, chargé d’organiser les scrutins à la Knesset, a tenté à plusieurs reprises d’interdire des candidatures palestino-israéliennes, bien que la Cour suprême annule parfois ces interdictions.

Shehadeh affirme que ces mécanismes révèlent le vernis démocratique d’Israël : “Israël n’est pas un État normal. Il n’y a pas de véritable démocratie”, dit-il.

Selon lui, la raison pour laquelle les parlementaires palestino-israéliens sont autant harcelés tient au fait que l’État d’Israël est “fondé sur la supériorité juive”. Ces députés luttent pour l’égalité, ce qui est considéré comme “extrême” dans une société de plus en plus dominée par une idéologie de droite.

L’incitation à la haine contre les parlementaires palestino-israéliens permet aux politiciens d’obtenir davantage de voix et de couverture médiatique. “Quand ils diffusent de la haine contre nous, cela leur apporte une grande visibilité médiatique, plus de soutiens, plus de partisans”, explique Shehadeh.

Les propos du député Bezalel Smotrich, en 2021, selon lesquels les parlementaires palestino-israéliens siègent à la Knesset “par erreur” et que David Ben Gourion, le fondateur d’Israël, “n’a pas terminé le travail”, n’ont suscité aucune réaction, ce qui montre à quel point la rhétorique raciste s’est banalisée dans le pays, souligne-t-il.

Les conséquences dépassent le cadre parlementaire. “Les députés palestino-israéliens sont attaqués par la police israélienne lors de toutes les manifestations. On nous pousse, on nous agresse physiquement. On nous frappe”, dénonce-t-il.

En janvier 2025, une motion du Parlement britannique a condamné le ciblage des membres palestino-israéliens de la Knesset, y voyant la preuve d’un “État ethnocratique et d’apartheid”.

Amnesty International a également dénoncé ces réglementations discriminatoires, soulignant que la rhétorique incendiaire qualifie les parlementaires palestino-israéliens de “traîtres” dans le but de délégitimer leur action.

“Ils ne veulent pas de notre voix au Parlement", conclut Shehadeh.

SOURCE:TRT français et agences
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