Alors que la famine progresse à un rythme alarmant dans plusieurs zones du nord de Gaza, exigeant une réponse humanitaire massive, coordonnée et immédiate, des voix s’élèvent pour dénoncer l’insuffisance flagrante de ces opérations ponctuelles et spectaculaires. Parmi elles, Médecins sans frontières (MSF) – Section France qui ne cache pas son exaspération. Dans un message publié sur X (anciennement Twitter), l’ONG dénonce une mise en scène “cynique”.
“Le recours aux largages aériens pour acheminer l'aide humanitaire est une initiative qui relève du cynisme. Les routes sont là, les camions sont là, la nourriture et les médicaments sont là, tout est prêt pour acheminer l'aide à Gaza, à quelques kilomètres seulement“, s’insurge MSF France dans un post sur son compte X.
Plus virulent encore, le média libanais Daraj dénonce une opération “inhumaine et théâtrale”, qualifiée sans détour de “mascarade”. Le site met directement en cause les États-Unis, co-organisateurs de ces largages, en soulignant l’ironie glaçante d’une double posture : financer massivement l’effort militaire israélien tout en prétendant voler au secours d’une population palestinienne victime de ce même arsenal.
Dès lors, une interrogation s’impose avec acuité : comment un pays ayant livré plus de 10 000 tonnes d’armements à Israël, utilisés pour bombarder la bande de Gaza, peut-il aujourd’hui prétendre soulager la population qu’il a contribué à affamer en lui parachutant de la nourriture.
“Blanchiment du cynisme”
L’exclusion des organismes humanitaires du processus de largage, met ainsi en première ligne, des personnes inexpertes dans des opérations qu’elles ne maîtrisent pas et renforce les soupçons de mauvaise foi, selon le média en ligne libanais.
Le largage de l’aide à Gaza est aussi perçu comme une opération de relations publiques destinée à faire baisser la pression sur Israël et à masquer le drame des Palestiniens confrontés à la famine. “Ce qui rend le processus d'obtention de nourriture humiliant, avec le risque de se précipiter pour se débarrasser de l'aide”, commente Daraj.
Sur une plage proche de Deir el-Balah, dans le centre de Gaza, des Palestiniens ont dû se jeter dans la mer pour sauver ce qu'ils pouvaient quand des parachutes sont tombés dans l'eau, indiquent des témoignages.
"Nous avons dû nager pour récupérer de la nourriture pour nos enfants. La plupart des denrées tombées dans la mer sont perdues", a raconté à l'AFP un père de famille, Ismaïl al-Aqraa.
De nombreux risques
Du reste, les ordres d’évacuation se sont rapidement étendus du nord jusqu’au centre, à Deir Al Balah. Plus de 87% de la bande de Gaza est considérée comme une zone militaire interdite. Environ 2 millions de Palestiniens s’entassent désormais dans moins de 13% du territoire, explique MSF France. Le risque est grand, pour que les habitants affamés se déplacent dans des zones interdites afin de récupérer l’aide parachutée et risquer leur vie en voulant se nourrir.
Le largage de l’aide par les airs tel que pratiqué actuellement à Gaza est même susceptible de se muer en drame, expliquent les spécialistes de l’action humanitaire.
“Distribuer de la nourriture de manière soudaine et sans surveillance à des personnes souffrant de malnutrition, voire de faim, peut présenter de graves risques pour la vie”, met en garde l’OMS dans un rapport de 2016 publié lors du largage aérien de l'aide en Syrie pendant la guerre civile. “Ces risques doivent être mis en balance avec l'absence de livraison par voie aérienne, ou avec le retard que pourrait entraîner une distribution terrestre”.
Ouvrir les points de passage
Toutes les organisations humanitaires opérant à Gaza déconseillent le largage de l’aide, de loin la “solution” la plus onéreuse et la moins efficace.
MSF appelle ainsi les autorités israéliennes à mettre fin “à la campagne génocidaire” contre les Palestiniens de Gaza, à lever immédiatement le siège sur la nourriture, le carburant, les fournitures médicales et l’aide humanitaire.
Dans le même sillage, Scott Paul d'Oxfam America a écrit sur X : ”Au lieu de procéder à des largages aériens aveugles à Gaza, les États-Unis devraient couper le flux d'armes vers Israël qui sont utilisées dans des attaques aveugles, faire pression pour un cessez-le-feu immédiat et la libération des otages, et insister pour qu'Israël respecte son devoir de fournir une aide humanitaire, un accès et d'autres services de base”.
Melanie Ward, de Medical Aid for Palestinians citée par la BBC, a déclaré que les États-Unis, le Royaume-Uni et d'autres pays devraient “s'assurer qu'Israël ouvre immédiatement tous les points de passage vers Gaza pour l'aide et les travailleurs humanitaires afin d'aider ceux qui en ont besoin”.
Mais à mesure que la crise s’aggrave, d’autres soutiennent que la nourriture doit être livrée à Gaza par tous les moyens nécessaires.
Mardi, les agences de l'ONU ont appelé à "inonder" d'aide alimentaire la bande de Gaza, menacée d'une "famine généralisée", où le ministère de la Santé a annoncé que la guerre avec Israël avait déjà fait plus de 60.000 morts.
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