Ramener le déficit public à 4,6 % du PIB en 2026, c’est la feuille de route tracée par le chef du gouvernement français François Bayrou lors de son allocution du 15 juillet, devant la presse hexagonale. Accusé de sacrifier le pouvoir d'achat des classes populaires et moyennes tout en préservant les plus aisés, ce projet incarne, pour ses détracteurs, la continuité d'une doctrine économique néolibérale, dont les effets sociaux sont dévastateurs. L'économiste Henri Sterdyniak, membre de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), livre dans un entretien à TRT Français une critique implacable de ce qu'il qualifie de "plan voué à l'échec".
"Un plan sans vision, un empilement de mesures antisociales"
Henri Sterdyniak dénonce d'emblée l'absence de cohérence globale du plan gouvernemental : "On accumule des mesures ponctuelles sans vision globale". Selon lui, l'essentiel de l'effort budgétaire repose en effet sur une baisse drastique des prestations sociales vitales pour les plus précaires : gel du Revenu de Solidarité Active (RSA), du minimum vieillesse et de la prime d'activité. “La mise à contribution des franges les plus défavorisées est profondément injuste", regrette l'économiste, soulignant l'asymétrie criante avec l'absence de contribution substantielle demandée aux hauts patrimoines.
Parmi les mesures les plus controversées figure la suppression de deux jours fériés, qualifiée par Sterdyniak de "gadget sans la moindre efficacité". Une mesure symbolique d'une politique qui, selon lui, ignore les leviers macroéconomiques essentiels : "Rien ne prouve que ce plan augmentera la rentrée des cotisations sociales et de la production. Cela serait le seul moyen de contenir le déficit public. Il faut au contraire une relance par la consommation des ménages". Cette analyse est partagée par d'autres économistes critiques comme Thomas Piketty, qui avertissait, dans une tribune au Monde, que "l'écrasement de la demande populaire est un poison pour la croissance et in fine, pour les finances publiques".
L'impasse délibérée sur la taxation des riches
Le cœur de la critique porte sur le refus gouvernemental de taxer les grandes fortunes et les revenus du capital. Sterdyniak plaide pour des alternatives radicalement différentes. "Il faudrait mettre en place un véritable impôt sur la fortune à travers l'instauration de la taxe Zucman", du nom de l'économiste Gabriel Zucman, préconisant l’imposition effective des grandes fortunes. "Il faut également taxer fortement les droits de succession. Mais aucune de ces mesures n'a été privilégiée par le gouvernement Bayrou", regrette-t-il.
Cette orientation confirme, pour l'économiste hétérodoxe Frédéric Lordon, une "logique de classe indéniable". Selon lui, "ce plan est l'archétype de la politique macronienne : socialiser les pertes, en protégeant scrupuleusement les rentiers et les actionnaires.” “La suppression de l'ISF en 2018 n'était qu'une première étape ; aujourd'hui, on fait payer la facture du déficit par ceux qui n'ont rien", ajoute-t-il. Sterdyniak abonde en citant d'autres niches fiscales épargnées : "l'abattement de 10% sur les pensions peut être supprimé comme les autres niches fiscales (heures supplémentaires, intéressement, PEA, PFU, assurances-vie...)".
Les retraités dans le collimateur : une demi-mesure injuste
Si Sterdyniak reconnaît un "aspect positif" dans la mise à contribution des retraités via la suppression d'avantages fiscaux, il tempère aussitôt : "Les prestations retraites sont un droit social. Leur niveau n'est pas excessif. Elles peuvent être réduites comme les autres revenus si cela est nécessaire. [...] Pas plus, pas moins". Une position nuancée qui contraste avec sa condamnation sans appel des coupes dans les minima sociaux. Pour la sociologue Camille Peugny, spécialiste des inégalités, "cibler les petits retraités tout en épargnant les retraites chapeaux et les revenus du capital est une faute sociale majeure. Cela aggrave la fracture entre générations et au sein même des seniors."
Un rejet unanime dans l’opposition
Le plan Bayrou a déclenché un tollé sur l'échiquier politique, particulièrement à gauche. Jean-Luc Mélenchon (LFI) a été le premier à lancer les hostilités : "Ce plan est une déclaration de guerre aux classes populaires ! Bayrou achève le travail de démolition sociale commencé par Macron. La seule richesse qu'ils veulent partager, c'est la misère !"
Fabien Roussel (PCF) a dénoncé également "une saignée historique dans les budgets de la solidarité pendant que les dividendes explosent. C'est un choix de société scandaleux."
Olivier Faure (PS) a fustigé, quant à lui, "une austérité aveugle qui ignore superbement la justice fiscale. Où est l'effort des milliardaires ?".
Même Marine Le Pen (RN), dans un rare accord tactique avec la gauche, a critiqué "un plan punitif pour les Français ordinaires qui va aggraver la crise", sans toutefois avancer de propositions alternatives crédibles.
La France condamnée à s'appauvrir ? Le sombre pronostic de Sterdyniak
Interrogé sur l'avenir économique du pays, Henri Sterdyniak dresse un constat alarmant : "Je vous réponds oui, [la France est condamnée à s'appauvrir] surtout si l'on continue cette course à l'échalote néolibérale, accélérée sous la présidence Macron et qui ne mène à rien dans un cadre d'une mondialisation qui confine à la guerre économique et qui va inéluctablement continuer à appauvrir les Français." Ce diagnostic rejoint les analyses de l'économiste Julia Cagé, pour qui "l'obsession du déficit, détachée de toute considération de justice et d'investissement d'avenir, est un piège qui mène à la stagnation et au creusement des inégalités".
Sterdyniak appelle à une rupture radicale : "Le gouvernement poursuit cette course effrénée à l'accumulation, alors qu'il faudrait aller vers une économie verte, sobre et solidaire." Un virage qui impliquerait, selon lui, de rompre avec le dogme de la baisse des dépenses publiques comme unique boussole. "Aucune mesure symbolique de réduction du train de vie de l'Etat n'a été proposée alors qu'elle serait salutaire", avance-t-il.
L'austérité, un choix politique aux alternatives ignorées
Le plan Bayrou de 43 milliards d'euros d'économies cristallise bien plus qu'un débat technique sur les finances publiques. Il révèle un choix de société assumé : faire payer la note du déficit aux plus modestes, en systématisant une logique d'austérité qui a déjà montré ses limites économiques et ses ravages sociaux en Grèce ou au Royaume-Uni. Comme le résume Sterdyniak, l'échec est programmé car le plan "ignore les vrais leviers : la taxation juste des très hauts patrimoines et des successions, la suppression des niches fiscales coûteuses et inéquitables, et surtout, la relance par l'investissement vert et la consommation des ménages".
Dans l'immédiat, la colère monte dans la rue et dans l'hémicycle, laissant présager un conflit social majeur autour d'un plan perçu comme la négation même de la justice sociale. L'alternative d'une "économie sobre, verte et solidaire", défendue par Sterdyniak, semble plus que jamais une nécessité pour éviter l'appauvrissement généralisé qu'il redoute.
Le projet de loi de finances sera présenté en Conseil des ministres fin septembre, avant d'être déposé à l'Assemblée nationale avant le 7 octobre, comme le prévoit la loi organique. Les parlementaires auront jusqu'à mi-décembre pour voter le texte, en vue d’une promulgation de la loi avant le 31 décembre 2025.