FRANCE
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Une loi contre “l’entrisme des Frères musulmans” ou une obsession politique française
Le président français a promis le 7 juillet une loi contre l’entrisme des Frères musulmans avant la fin de l’été. Cette annonce suit la publication d’un rapport sur cette mouvance. TRT Français a demandé à deux spécialistes leurs avis.
Une loi contre “l’entrisme des Frères musulmans” ou une obsession politique française
Emmanuel Macron souhaite une loi sur l'entrisme des Frères musulmans avant la fin de l'été / AFP
4 août 2025

Tout est parti d’un rapport publié par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau au lendemain de sa victoire pour la présidence du parti Les Républicains (19 mai). Le Figaro qui en a les bonnes feuilles en exclusivité a écrit un article très anxiogène. Bruno Retailleau n’hésite pas à déclarer, “il y a un entrisme à bas bruit, la République est menacée! “ On est dans la communication politique la plus pure avec un ministre de l’Intérieur qui vise la présidence en 2027. Emmanuel Macron, va même estimer que le rapport, en fait commandé sous Gérald Darmanin, ne va pas assez loin.  Il faut souligner que ce rapport qui souligne qu’il y a un “entrisme” des Frères musulmans en France, qu’il y a péril en la demeure a été discuté dans un conseil de Défense et non lors d’un conseil des ministres. Le symbole n’est pas anodin et montre bien la tonalité que la Macronie veut donner à l’événement.

Haoues Seniguer, chercheur et maître de conférences à Sciences Po Lyon, spécialiste des rapports entre islam et politique en France estime que le président Macron fait cette annonce pour deux raisons. “D’une part, il y a un contexte politique national général marqué par une surenchère sur les questions liées à la sécurité, à l’immigration et à l’islam. Une tendance que l’on observe d’ailleurs à l’échelle européenne, voire mondiale, dont les premières victimes sont les minorités dites visibles ou ethno-religieuses, qu’elles soient citoyennes des pays concernés ou non. “ Il ajoute que la publication du contenu du rapport par Bruno Retailleau avant même la présentation officielle au conseil de Défense à grands coups de déclarations anxiogènes ne laisse pas trop le choix au président.

Franck Frégosi, directeur de recherche au CNRS et enseignant à l’institut d’études politiques d’Aix-en-Provence vient de publier “Gouverner l’Islam en France” aux éditions du Seuil” où justement il analyse les stratégies des politiques français. Il dénonce un rapport, dit-il, truffé de banalités qui exagère les dangers pour des raisons politiques. Il a lui-même été auditionné par les deux auteurs de ce rapport.

Un rapport à l’utilité très politique

Le chercheur explique que le rapport fait des amalgames, entre les discours du créateur de la confrérie des Frères musulmans dans les années 20, et l’association française l’association des Musulmans de France près de cent ans plus tard. “Il y a une différence entre la Confrérie dans le monde arabe dans les années 20 et ce qu’elle est devenue au contact des réalités européennes. Ensuite, les associations européennes qui se réclamaient d’Hassan Bana (fondateur des Frères musulmans) sont en perte de vitesse en Europe, elles étaient fortes dans les années 90 mais il y a un affaiblissement de leur base militante et la France veut prendre ce courant-là pour cible. “

Le chercheur s’interroge donc sur le bien-fondé de ce rapport demandé par le gouvernement français. Ce rapport de 75 pages “parle de risque mais n’apporte pas de certitudes, il n’y a que des estimations, et pourtant le ministre de l’Intérieur a présenté ce rapport comme caution scientifique.“ Il rappelle aussi que l’association des Musulmans de France a toujours été dans une démarche de coopération avec les autorités françaises, “une relation loyale” dit-il. Nicolas Sarkozy, alors président, a même été reçu au Congrès de l'UOIF (Union des organisations islamiques en France ) au Bourget.

Haoues Seniguer fait peu ou prou la même analyse et juge que le gouvernement surjoue le danger. “Ce qui est certain, c’est que le contenu du rapport ne justifiait ni un tel battage médiatique, ni les perspectives normatives formulées dans le cadre du Conseil de défense. De deux choses l’une : soit il existe une menace réelle à l’ordre public, et il convient alors d’agir sans délai ; soit une telle menace n’existe pas, et il est dès lors inutile d’alimenter l’inquiétude ou de soumettre les associations musulmanes à des velléités répressives injustifiées.”


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La France a une vision coloniale de l’Islam

Alors que veut Emmanuel Macron et son gouvernement en empilant les lois sur l’Islam ? Sur le contenu de cette future loi, on ne sait rien ou presque, sinon qu’elle mettrait les associations musulmanes encore davantage sous le contrôle de l’État, et permettrait des confiscations de biens !
Elle viendrait s’ajouter à la loi sur le séparatisme qui date de 2021 et qui devait tout régler en mettant sous contrôle les sources de financement. Cette loi promise par Macron viendra aussi s’ajouter à un corpus déjà bien fournis de lois régissant les signes extérieurs de respect des règles de l’Islam. Le port du voile dans les établissements scolaires est interdit en 2004. En 2011, le port du voile intégral (Niqab) est interdit dans tout l'espace public. En 2023, Gabriel Attal, alors ministre de l’Education nationale, lance la rentrée scolaire avec l’interdiction de l’abaya et la khamis à l'école.

On empile les lois sur l’Islam en France regrette Franck Frégosi: “ Il y a un tropisme colonial dans la façon de gérer l’Islam en France et ce rapport arrive à un moment où il y a eu déjà plusieurs mesures prises pour cibler toute visiblité urbaine de l’expression de l’Islam dans l’espace public.” 

La majorité présidentielle a aussi entrepris de dé-contractualiser la dizaine d’écoles musulmanes sous contrat avec le ministère de l’Education nationale (le lycée Averroès de Lille, l’école al-Kindi près de Lyon citée dans le rapport ont vu leur contrat annulé par la Préfecture et aujourd’hui l’école Ibn Khaldoun à Marseille est dans le collimateur de l’Etat) qui toutes ont d’excellents résultats scolaires.  Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, les pressions sur les mosquées ou les imams trop critiques se sont également multipliées. “On s’attaque à des écoles sous-contrat avec l’Etat, ce qui est une forme d’intégration réussie, on ajoute à cela la suspicion sur les clubs de sport, les librairies”, les accusant d’avoir un projet contre la société française.

Le dernier exemple récent de cette stratégie tous azimuts est très symbolique, l’Institut européen des sciences humaines, l’une des principales écoles de formation pour les cadres religieux musulmans en France, situé à Saint-Léger-de-Fougeret, près de Château-Chinon dans la Nièvre, a reçu en juin un courrier l’informant de l’intention du ministère de l’intérieur de le dissoudre. Cette annonce a suivi une perquisition et le gel des avoirs de l’institution musulmane. L’IESH a été créé en 1990 par l’association des Musulmans de France (ex-UOIF) et forme des imams dont la France a besoin puisque les imams consulaires (prêtés par des pays voisins) ne peuvent plus exercer sur le sol français.

Le gouvernement divise la société française

Haoues Seniguer regrette surtout dans ces annonces à répétition, ce qu’il qualifie “d’islamo-obsession publique”. “Les musulmans, quel que soit leur niveau de pratique, sont à la fois inquiets et consternés par ce que l’on peut qualifier d’islamo-obsession publique. (...) Cette fixation omniprésente, rarement justifiée par des arguments véritablement pertinents, finit par les lasser profondément, voire les excéder. J'ajoute que cette fixation, qui amplifie un climat de suspicion déjà bien installé, peut favoriser des passages à l'acte violent contre des institutions et des personnes identifiées, perçues comme islamiques ou musulmanes.”

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Franck Frégosi va plus loin, il estime qu’il y a un danger de fissure au sein de la société française. “Ce débat sur les Frères musulmans va avoir des effets au-delà de ses soutiens. À force, le gouvernement va créer un séparatisme à l’envers. On peut se demander si une partie de la classe politique ne cherche pas à mettre les Musulmans à l’écart. Aujourd’hui, il y a la volonté de donner des gages à la frange la plus conservatrice de l’électorat, et il y a ce reflexe de vouloir construire un Islam sur mesure. “ 

Michel Blanquer, Gabriel Attal, Aurore Bergé, Gérald Darmanin et, aujourd’hui Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, ont successivement participé à cette stratégie depuis 2007 et l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron.
Bruno Retailleau, droit dans ses bottes, déclarait, fin mai 2025,  ne pas vouloir utiliser le mot “islamophobie” au sujet de la France car le mot aurait été créé, selon lui, par les Frères musulmans ! L’argument est censé déclasser le terme mais la dose de cynisme politique qui accompagne cette déclaration interroge.

SOURCE:TRT français et agences
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