Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a tranché : il ne graciera pas l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal condamné en appel à 5 ans de prison ferme pour atteinte à l’unité territoriale du pays. Depuis l’arrestation puis l’emprisonnement de l’auteur du "Serment Des Barbares" en novembre dernier à Alger, son affaire est devenue le prétexte d'une offensive politique inédite contre l'Algérie.
Comme le décrypte l'historien Youssef Boussoumah au micro de TRT Français, ce dossier dépasse désormais l'individu : il révèle une alliance toxique entre l'extrême droite française et les réseaux sionistes, "unis dans un révisionnisme colonial agressif".
Les soutiens de Boualem Sansal en France espéraient en effet une grâce du président Tebboune le 5 juillet à l’occasion de la fête de l’indépendance algérienne. Son maintien en détention a par conséquent entraîné une levée de boucliers sans précédent contre l’Algérie. Le philosophe Pascal Bruckner a ouvert les hostilités dans Le Figaro par une violente diatribe qualifiant le système politique algérien de "régime islamo-stalinien" et le peuple algérien de "décervélé". Cette rhétorique, qualifiée par Boussoumah de "négationnisme historique", a été amplifiée par le comité de soutien de l’écrivain qui a une nouvelle fois qualifié l’Algérie de “dictature militaire arbitraire”.
L'offensive médiatico-politique : un front uni de la droite à l'extrême droite
Ainsi, les tirs de barrages contre l’Algérie n’ont cessé de pleuvoir depuis l’arrestation de Boualem Sansal. Un appel le 16 mai dans le journal Le Monde, signé par 200 personnalités du monde intellectuel et culturel dont Élisabeth Badinter, Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut, exigeait la libération immédiate de l’écrivain et dénonçait un "régime autoritaire". Du côté de la classe politique, Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur et président des Républicains (LR) a personnellement interpellé l'Élysée : "La France doit user de tous les leviers pour sauver un intellectuel menacé par une dictature", rappelant ses liens avérés avec Sansal (ils devaient déjeuner avant son arrestation). Marine Le Pen (RN) a fustigé un "acharnement judiciaire typique des régimes totalitaires", tandis que Gérald Darmanin a taclé une "Algérie qui emprisonne ses penseurs". Pour Boussoumah, cette coalition incarne la "nouvelle extrême droite" : "Ces ex-gauchistes (Bruckner, Fourest, BHL, Finkielkraut) rejoignent l'extrême droite historique issue de l'OAS (Organisation de l’Armée Secrète). Leur symbiose avec les réseaux antisémites est un paradoxe absolu".
Sansal, cheval de Troie des réseaux sionistes ?
Le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) a officiellement "exigé des sanctions européennes" contre Alger, tandis que le philosophe Alain Finkielkraut a résumé l'idéologie sous-jacente : "Sansal incarne la résistance à l'obscurantisme islamiste. Le régime algérien est ultra autoritaire et entretient l’hostilité mémorielle pour cacher ses insuffisances". Les liens entre Sansal et les réseaux sionistes seraient effectivement une des raisons de son arrestation. Son voyage controversé en Israël en 2012– où il avait déclaré "L'État hébreu est un modèle pour le Maghreb" – et ses liens avec le CRIF en font donc un symbole stratégique. Boussoumah souligne : "Les réseaux au soutien à Sansal sont éminemment sionistes. L'Algérie symbolise l'échec du colonialisme : Israël se regarde dans le miroir algérien".
La contre-offensive algérienne : souveraineté et légitimité historique
Face à ce qu’elle considère comme étant des tentatives d’ingérence, les réactions du gouvernement algérien sont fermes. Le ministère des Affaires étrangères algérien a des tentatives graves d’immixtion dans ses affaires internes et des "campagnes médiatiques violant le droit international". Le journal francophone El Moudjahid à quant à lui répondu aux attaques de Pascal Bruckner : "Ces néo-croisés du colonialisme refusent d'admettre notre indépendance. Leur 'stalinisme' est le nom de notre souveraineté". Les intellectuels algériens s'organisent également : ils sont nombreux à rappeler que "l'affaire Sansal relève du droit algérien. Et qu’exiger sa libération, "c'est nier notre existence juridique".
Dans les rangs français, Jean-Luc Mélenchon fait figure d'exception : son appel à la libération, jugé "humaniste et respectueux" par Boussoumah, contraste avec les injonctions de la droite. Mais il a été immédiatement attaqué par la présidente de la région Ile-De-France Valérie Pécresse : "Mélenchon valide la répression des dictatures quand elles servent ses alliés".
L'enjeu géopolitique : Gaza, la mémoire coloniale et le complexe français
Pour Boussoumah, cette affaire révèle une hypocrisie fondamentale : "Comment ces mêmes réseaux qui soutiennent l'horreur à Gaza et laissent mourir en prison Georges Ibrahim Abdallah (militant anticolonial libanais dont la libération a été annoncée jeudi au moment de la publication du papier) peuvent-ils s'ériger en défenseurs des droits ? Leur cible réelle est la légitimité historique de la Révolution algérienne".
La non-grâce présidentielle du 5 juillet – jour symbolique de l'indépendance – sonne comme un coup d'arrêt à la pression française. Elle rappelle que l'Algérie reste, comme le souligne l'historien Boussoumah "le miroir brut de l'échec colonial français. Leur acharnement sur Sansal est une tentative de briser ce miroir". L'affaire Sansal dépasse de ce fait la littérature ou la justice. Elle est le champ de bataille où s'affrontent, d'un côté, une France ‘nostalgérique’, unissant extrême droite et réseaux sionistes dans un révisionnisme agressif, et de l'autre, une Algérie déterminée à défendre sa souveraineté contre "le dernier soubresaut du complexe colonial".
Pour rappel, la cour d’appel d’Alger a confirmé les sanctions infligées à Boualem Sansal : cinq années de prison ferme et une amende de 500 000 dinars algériens, soit environ 3 600 euros. L’auteur a été reconnu coupable, entre autres, d’”atteinte à l’unité nationale” pour des propos tenus au média français d'extrême droite, Frontières, dans lesquels il affirmait que l’Algérie avait hérité de territoires marocains sous la colonisation française. Il est également poursuivi pour “outrage à corps constitué”, “pratiques nuisibles à l’économie nationale” et “détention de publications menaçant la stabilité du pays”.
