La position suisse est devenue de plus en plus difficile à tenir. Berne s’affiche comme le garant du droit international humanitaire tout en prenant bien soin de ne pas braquer Tel Aviv ; cela, depuis le début de la guerre à Gaza, et malgré le nombre de victimes civiles ou la famine.
Les critiques en interne se font de plus en plus entendre. Ainsi, d'anciens diplomates suisses ont écrit, vendredi, au Conseil fédéral (gouvernement) pour demander des mesures concrètes au sujet de la situation à Gaza et en Cisjordanie, "comme le font de plus en plus d'Etats amis", indique la lettre.
Ils avaient, en juin déjà, interpellé le chef du département fédéral des affaires étrangères (DFAE) Ignazio Cassis pour dénoncer "le silence et la passivité" de la Suisse face aux "crimes de guerre" commis par Israël à Gaza.
Les soixante-dix signataires de cette lettre estiment que la Suisse devrait dénoncer le projet de réinstallation des Palestiniens de Gaza dans un pays tiers, accueillir des enfants blessés pour des traitements médicaux et soutenir les activités de l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) et toute autre organisation active en Palestine dont l'action est entravée par les Etats-Unis ou Israël.
En juin 2025, Amnesty International suisse publiait également un appel avec le soutien de nombreuses personnalités suisses. L’ONG mettait en garde l’exécutif helvétique : “En gardant le silence, le Conseil fédéral prend le risque d’engager la responsabilité internationale de la Suisse pour manquement à son obligation de prévenir un génocide”, écrivait Alexandra Karle, directrice générale d’Amnesty International Suisse.
Berne et la voix du milieu
Malgré tout, Berne reste silencieuse et inactive. Le conseiller fédéral chargé des Affaires étrangères a évoqué la neutralité suisse pour justifier son attentisme. Si la Suisse se prononce depuis longtemps en faveur de la solution à deux États, elle exclut toutefois toute reconnaissance de la Palestine. C’est la ligne officielle répétée à chaque réunion internationale.
À Berne, de nombreux parlementaires estiment que le conseiller fédéral en charge des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, est trop prudent dans sa critique d'Israël. Il a ainsi, systématiquement, condamné de façon conjointe les agissements israéliens et ceux du Hamas.
En juin, alors que la très critiquée Fondation humanitaire pour Gaza organisait les premières distributions et que les premiers Gazaouis étaient tués autour des points de retrait, Ignazio Cassis a minimisé les faits. Il estimait impossible de savoir qui étaient les auteurs des tirs ayant fait 27 morts alors que l'armée israélienne elle-même avait reconnu avoir tiré sur des "suspects".
La conseillère nationale Léonore Porchet (Verte/VD) se disait indignée par les commentaires de Cassis. "Ce qui a été dit n’était pas loin de la propagande officielle de l’Etat d’Israël, qui nie le génocide en cours. L'Etat suisse doit faire mieux", avait-elle déclaré sur la radio nationale RTS.
Le conseiller aux États (Sénat) Carlo Sommaruga (PS/GE) avait, lui, ajouté lors de ce même débat radiophonique que le ministre tenait des propos inexacts : “Ignazio Cassis délivre des informations d'une vérité alternative qui n’aide qu'Israël au lieu de défendre le droit international et de participer avec la communauté internationale à la défense du droit international et de la justice pour le peuple palestinien."
Un parlement contre la reconnaissance de la Palestine
Si le Conseil fédéral peut, lui seul, décider de la reconnaissance d’un État de Palestine, le responsable des Affaires étrangères peut se tourner vers le Conseil national (Assemblée) pour justifier la position de la Confédération. En 2024, un postulat invitait le Conseil national à se prononcer sur la reconnaissance de la Palestine. La question a fait l’objet d’un débat animé, mais elle a finalement été rejetée par 131 voix contre 61.
Certains évoquent aussi la place de la Genève internationale pour justifier cette prudence extrême: si la Suisse reconnaissait l’Etat de Palestine, la ville du bord du lac Léman pourrait ne plus être considérée comme un lieu approprié pour les discussions et négociations.
Mais la réponse est peut-être à regarder du côté de l’économie. Berne exporte vers Israël du matériel à “double usage” à Israël, utilisable tant au civil qu’au militaire. Ainsi, des moteurs fabriqués au Tessin se sont retrouvés dans des drones israéliens.
Et elle achète surtout énormément de matériel israélien. Entre 1996 et 2005, la Suisse a acheté des équipements militaires pour un montant avoisinant le demi-milliard d’euros. Depuis 2010, la Confédération est devenue un client important d’Elbit Systems avec des commandes pour un montant de 600 millions d’euros.
L’entreprise Elbit Systems est le plus grand fabricant d’armes privé d’Israël. Il fournit 85% des drones à l’armée israélienne dont le SkyStriker qui peut localiser et frapper des cibles, et qui est largement utilisé à Gaza pour tuer.
Aujourd’hui, il faudrait ajouter à cette liste qui retient la Suisse de rejoindre le mouvement européen en cours, la peur de mesures de rétorsions américaines qui punissent les pays reconnaissant l’État de Palestine.
En effet, la Suisse s’est vu infliger des taxes douanières de 39% en août 2025 par la nouvelle administration américaine. Elle essaie aujourd’hui de faire baisser ces “tariffs” et ne va certainement pas prendre le risque de contrarier Donald Trump.