Prévu ce jeudi 24 juillet, l’entretien entre Emmanuel Macron et Bruno Retailleau a été annulé à la dernière minute par le chef de l’État.
“Le macronisme s’achèvera”
Irrité par la volonté du ministre de l’Intérieur de faire de cette rencontre un règlement de comptes sur la question de l’Algérie, Emmanuel Macron a choisi de déléguer cette réunion à François Bayrou, qui devrait recevoir Bruno Retailleau en fin de journée à son retour d’Angers.
Ce report intervient dans un climat de tensions croissantes entre les deux hommes. Mardi, dans un entretien à Valeurs Actuelles, Bruno Retailleau avait estimé que “le macronisme s’achèvera avec Emmanuel Macron”, qualifiant cette orientation politique de “non-mouvement” reposant uniquement sur la personne du président.
“Je ne crois pas au “en même temps”, car il alimente l’impuissance”, avait-il ajouté, soulignant que sa présence au gouvernement répondait uniquement à un “intérêt supérieur pour la France”, et non à une quelconque adhésion au macronisme.
Ces déclarations ont provoqué de vives réactions dans le camp présidentiel. Sur X, la ministre de l’Éducation Élisabeth Borne a dénoncé une tentative de division du “socle commun” et un affaiblissement des “remparts contre les extrêmes”.

“Agir ensemble exige du respect mutuel”, a-t-elle rappelé, défendant le macronisme comme “une idéologie ET un parti politique”.
Sa prédécesseure rue de Grenelle, Anne Genetet, avait estimé de son côté que "Bruno Retailleau est dans le double jeu permanent" et "ne peut pas être ministre un jour sur deux".
Agnès Pannier-Runacher a également défendu la ligne présidentielle, présentant le macronisme comme un “choix de l’action face au populisme, du rassemblement face à la division”, et estimant que cette orientation avait permis de “tenir le pays debout pendant les crises”.
La crise algérienne
Mais ces tensions ne sont pas nouvelles : la question algérienne a joué un rôle particulièrement déterminant dans les divisions actuelles au sein du gouvernement.
En mars, si le ministre de l’Intérieur entendait bien mener “le bras de fer” contre les autorités algériennes à qui il reproche d’instrumentaliser la question migratoire, Macron s’opposait clairement à Retailleau en plaidant pour le “respect” des accords signés en 1994.
“Je souhaite qu’un travail de fond soit réengagé au service des intérêts des uns et des autres. Avec exigence, respect et engagement. (...) on ne peut pas se parler par voie de presse. C’est ridicule, ça ne marche jamais comme ça”, avait alors recadré le président français.

Récemment encore, vendredi 18 juillet, alors que Bruno Retailleau dénonçait ce qu’il considérait comme l’échec de la “diplomatie des bons sentiments” dans l’affaire Boualem Sansal, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot a recadré son collègue, affirmant qu’“il n’y a ni diplomatie des bons sentiments, ni diplomatie du ressentiment. Il y a juste la diplomatie”.
Début juillet, Emmanuel Macron avait rappelé à l'ordre François Bayrou mais aussi Bruno Retailleau quand ce dernier s'était prononcé pour la fin des aides aux énergies renouvelables, provoquant la colère de sa collègue Renaissance de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher.
Les ministres "doivent s'occuper des politiques qu'ils conduisent", avait affirmé le chef de l'Etat, en appelant le Premier ministre à "discipliner la parole" de son gouvernement.
Ambitions présidentielles ?
Une recommandation qui, semble-t-il, n’a pas été vraiment entendue par Retailleau, au regard de la levée de boucliers. Cette attitude critique, conjuguée à une présence affirmée dans les médias, attire l’attention d’un électorat de droite en quête d’incarnation, ce qui amène à penser que Bruno Retailleau est en train de préparer le terrain pour une candidature à la présidentielle de 2027.
À la différence d'autres ministres issus de la droite, Bruno Retailleau ne cherche pas à influer discrètement sur la ligne du gouvernement. Il s’en distingue ouvertement, en contestant la nature même du macronisme, qu’il refuse de considérer comme une idéologie structurée.
Lui-même insiste : sa présence au gouvernement n'est motivée que par “l'intérêt supérieur de la France”, et non par une adhésion au projet macronien.

À deux ans et demi de l’élection présidentielle, et alors que le gouvernement demeure sans majorité absolue, certains analystes y voient une anticipation stratégique. Retailleau pourrait vouloir s’extraire à temps d’un exécutif affaibli, pour ne pas en porter le bilan.
La séquence actuelle pourrait ainsi préfigurer une démission future, volontaire, permettant de quitter Beauvau sur un acte politique clair plutôt que de subir une chute avec l’ensemble du gouvernement en cas de censure parlementaire.
Ce calcul n’est pas sans rappeler la stratégie d’Emmanuel Macron lui-même, lorsqu’il avait quitté le gouvernement de François Hollande à l’été 2016, un an avant de lancer sa campagne présidentielle.
Dans un paysage politique fracturé, où la majorité présidentielle peine à désigner un héritier naturel et où les oppositions de droite et d’extrême droite sont en recomposition, Retailleau pourrait chercher à se présenter comme un recours, prêt à incarner une nouvelle offre politique post-macronienne.
Reste à savoir si ce positionnement ambigu, à la fois à l’intérieur et à distance du pouvoir, pourra tenir jusqu’en 2027 sans provoquer une rupture nette avec l’Élysée.