Le 10 août, six journalistes palestiniens ont été tués lors d’une frappe israélienne à Gaza. Tandis que nombre de médias français se sont contentés d’un récit factuel, largement calqué sur les dépêches reprenant des sources officielles, plusieurs rédactions européennes ont brisé le ton neutre, accusant Israël de cibler la presse et dénonçant une dérive inquiétante contre la liberté d’information.
En France, les grands médias ont fait le choix de la simplicité administrative, reprenant sans distance les dépêches AFP. France 24, Le Figaro, RFI ou TV5Monde ont déversé des chiffres et des noms, mais ont soigneusement évité de creuser la nature politique et juridique de ce carnage.
Le soupçon d’un assassinat ciblé, pourtant largement dénoncé par Reporters sans frontières, Amnesty et d’autres ONG, a été effleuré à peine, voire purement occulté. Les communiqués israéliens qualifiant ces morts de “dommages collatéraux” sur des “cibles militaires” ont été reproduits sans contrepoids, presque comme une vérité incontestable, laissant la porte ouverte à une narration biaisée, où la responsabilité israélienne est diluée et le contexte stratégique soigneusement ignoré.
La dépêche AFP, un paravent
Dans les heures qui ont suivi le drame, la plupart des grands médias français — de France Info au Figaro en passant par Libération — se sont contentés de reprendre la dépêche AFP, réduisant l’événement à quelques lignes factuelles. Aucune enquête propre, peu de contextualisation, encore moins d’interrogations sur la responsabilité d’Israël dans ces assassinats répétés de professionnels de l’information.
Les articles ont parlé de “morts” ou de “frappes ayant touché des journalistes”, une formulation qui dilue la responsabilité et entretient l’idée d’un accident de guerre. Le terme “assassinat”, pourtant employé par de nombreuses ONG, est largement évité. Dans certains cas, les victimes sont présentées comme “se trouvant à proximité d’objectifs militaires”, un langage calqué sur les communiqués israéliens.
Pire encore, des médias comme BFMTV, TV5 Monde ou France Info/France Télévisions ont relayé les accusations israéliennes, rapportant que l’armée israélienne avait affirmé avoir ciblé Anas Al-Sharif parce qu’il était un "terroriste" du Hamas se faisant passer pour un journaliste.
Des lignes éditoriales à couteaux tirés
Toutefois, d’autres médias français ont adopté une position un peu plus révélée. Le Monde a adopté un ton plus analytique, rappelant que plus de cent journalistes palestiniens ont été tués depuis le début du conflit et que les autorités israéliennes restreignent sévèrement l’accès des reporters étrangers à Gaza.
Les médias indépendants comme Acrimed ou Orient XXI ont été plus virulents, accusant les rédactions dominantes de minimiser la portée politique et juridique de ces assassinats, voire de reprendre sans distance des éléments de langage israéliens, présentant parfois les journalistes comme “victimes collatérales”. Mais ces analyses restent marginalisées, rarement reprises par les grands journaux ou les chaînes d’information en continu.
Le Parisien a lui publié un portrait du correspondant emblématique Anas Al Sharif, ce qui peut être perçu comme une prise de position subtile et symbolique. Il inscrit le journaliste dans la sphère du représentant humain de la vérité médiatique, plutôt que de la version militaire officielle.
Couverture biaisée
Plusieurs collectifs pro-palestiniens et associations, dont l’AFPS, dénoncent un biais structurel dans la couverture médiatique française : surpondération des sources officielles israéliennes, faible mise en valeur des témoignages palestiniens et absence d’investigation indépendante sur les attaques. Ces critiques rappellent que des mobilisations de soutien aux journalistes palestiniens, organisées en France ces derniers mois, ont reçu très peu de couverture dans les grands médias.
Ce traitement met en lumière une fracture profonde au cœur du paysage médiatique français. D’un côté, les grands médias nationaux se retranchent derrière des dépêches froides, jouant la carte d’une neutralité institutionnelle qui sonne souvent creux. De l’autre, des médias engagés et des ONG dénoncent cette “neutralité de façade” : en effaçant le contexte crucial, elle sert à estomper la responsabilité directe d’Israël.
Pour ces défenseurs d’un journalisme combatif, ne pas qualifier clairement ces assassinats de ciblages délibérés contre la presse, c’est finalement valider, par omission, le récit israélien. Une complicité silencieuse qui menace l’éthique même du métier.
Par contre, dans la presse de pays clés de l’Union européenne, on perçoit une tendance claire à la critique mesurée mais affirmée du récit israélien sur ces assassinats.
Il reste que la tonalité varie selon les traditions médiatiques nationales et la proximité diplomatique avec Israël, mais la vigilance critique est manifeste.
Allemagne: un ton inhabituellement tranché
Outre-Rhin, Der Spiegel et Süddeutsche Zeitung ont couvert l’événement avec une forte insistance sur le bilan humain et le statut civil des victimes. Le ministère allemand des Affaires étrangères s’est dit “consterné” et a exigé des “preuves claires et crédibles” concernant les allégations israéliennes.
Le syndicat allemand des journalistes (DJV) a été plus frontal encore, parlant d’“attaque totalement injustifiable” et accusant Israël de saper la liberté d’informer. Ce positionnement marque un glissement notable par rapport à la prudence traditionnelle de Berlin vis-à-vis de Tel-Aviv.
Toutefois, une publication comme Bild, longtemps critiquée pour sa couverture de la guerre, n’a pas manqué encore une fois de relayer le récit israélien concernant le correspondant d’Al Jazeera Anas Al Sharif titrant: “Le journaliste tué serait un terroriste”.
Il est à noter que Bild a été à maintes reprises accusé par certains observateurs de minimiser les souffrances des civils palestiniens et de refléter une perspective pro-israélienne.
Belgique : vigilance et mise en garde
La presse belge, à travers Le Soir et La Libre Belgique, a relayé les réactions des ONG et syndicats de journalistes, appelant à protéger les correspondants sur le terrain.
Les autorités belges ont, pour leur part, souligné la nécessité d’une “enquête impartiale” et manifesté leur “profonde préoccupation” face aux attaques visant la presse.
La Belgique, pays siège de plusieurs institutions européennes, a aussi insisté sur l’importance de préserver un accès libre et sécurisé à l’information dans les zones de conflit.
Royaume-Uni : accent sur la guerre de l’information
Au Royaume-Uni, The Guardian a mis l’accent sur la double dimension militaire et narrative de l’opération israélienne. L’analyse souligne que la restriction d’accès aux journalistes étrangers, combinée aux frappes contre les reporters locaux, vise à contrôler le récit du conflit.
La BBC, plus prudente, a évoqué les accusations israéliennes tout en relevant que “ces affirmations ne peuvent pas être vérifiées de manière indépendante”. Plusieurs éditorialistes britanniques ont rappelé que la liberté de la presse est un indicateur clé de la santé démocratique, y compris en temps de guerre.
Italie : un discours mordant
Les journaux italiens La Repubblica et Corriere della Sera ont adopté un regard critique, insistant sur la fréquence des attaques contre les journalistes à Gaza.
L’Italie a souligné dans ses déclarations officielles la nécessité de garantir la sécurité des journalistes et a rappelé l’importance du respect des conventions de Genève.
Dans les éditoriaux, on retrouve aussi des références à la responsabilité morale des médias pour ne pas devenir les relais d’une propagande unilatérale.
L’Espagne pointe un acte prémédité
En Espagne, le ton est clair : il ne s’agit pas seulement de relater un fait, mais de pointer une attaque délibérée que constitue ce crime contre la presse qui, selon les rédactions, exige une réponse internationale urgente.
El País dénonce “un acte prémédité contre la liberté de la presse” et accuse Israël de vouloir “vouloir faire taire les voix critiques”. Le journal rappelle un chiffre glaçant : au moins 242 journalistes palestiniens ont été tués depuis octobre 2023.
Pour HuffPost España, la frappe illustre un phénomène plus large : “Plus de 230 journalistes ont perdu la vie depuis le début de l’offensive. Le gilet Presse n’offre plus de protection, il nous transforme en cibles”. Le média relaie la plainte de Reporters sans frontières devant la Cour pénale internationale pour crimes de guerre.
Cadena SER souligne que la frappe a touché directement une tente de presse. La station cite la condamnation ferme de l’ONU et son appel à une enquête indépendante. Elle rapporte aussi les propos de Benjamin Netanyahu, qui défend l’opération tout en évoquant un assouplissement de l’accès des médias aux zones de conflit.
En somme, la presse européenne se montre bien plus virulente que ses pairs français face aux violences visant les journalistes palestiniens, affirmant avec force la défense des principes fondamentaux de liberté d’expression et de protection de la presse.