AFRIQUE
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L'économie africaine dépend toujours des matières premières, le Sahel veut changer la donne
Le Cnuced vient de publier un rapport sur l'économie africaine. Presque tous les pays n’exportent que des matières premières. Le Sahel cherche pourtant à décoloniser son économie.
L'économie africaine dépend toujours des matières premières, le Sahel veut changer la donne
Le Burkina, le Mali et le Niger se retirent de la Cédéao en février 2025 / AFP
il y a 18 heures

Si les produits de base sont le moteur essentiel du commerce mondial (produits énergétiques, miniers et agricoles), ils représentent un tiers de la valeur totale des échanges internationaux, certains pays dépendent fortement de leurs exportations, et en Afrique plus que nulle part ailleurs. Le rapport 2025, publié fin juillet, du Cnuced (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) estime que 9 pays sur 10 dépendent à plus de 60% des exportations de matières premières, minerai ou biens agricoles.

Les chiffres africains flirtent avec les 90% voire, les dépassent. Ce pourcentage varie de 21,5% enregistré par la Tunisie et 99,5% pour le Soudan du Sud. Parmi les pays les plus dépendants, on trouve l’Algérie avec le pétrole, le Mali ou le Burkina Faso avec l’or.

Felwine Sarr, économiste sénégalais et enseignant à l’Université Duke aux États-Unis estime que les résultats de ce rapport ne sont pas surprenants : “C’est une question récurrente pour les pays africains. Ils doivent sortir de la dépendance aux matières premières car ils sont vulnérables aux chocs des prix et ils sont dans une relation inégale.” Cela dit, l’économiste ajoute que la plupart des pays sont dans une gestion de l’urgence (paiement des salaires, paiement de la dette) et ont du mal à dégager des ressources pour investir et créer une filière industrielle et c’est ainsi que le modèle perdure.

Le Maroc a pourtant réussi à diminuer sa dépendance à l’exportation du phosphate qui était sa principale exportation et vend aujourd’hui des pièces automobiles, une activité qui représente près de 35% de ses exportations. 

Les nouveaux dirigeants du Sahel, eux, sont arrivés au pouvoir en 2022 sur la promesse de renverser cet équilibre économique hérité du passé colonial.

 

Al Kitenge, économiste entrepreneur congolais, estime qu’on peut affirmer que 10 pays sur 10 vivent des exportations de matières premières encore aujourd’hui, mais il considère que le Sahel peut initier un changement de paradigme : “Les économies africaines sont prises en otage parce que c'est la règle géopolitique qui a été mise en place depuis des années et des années mais Internet a démocratisé la pensée et les Africains se rendent compte qu’il existe d'autres modèles pour sortir de l'esclavage économique”.

Le Sahel sur la voie des réformes économiques

Après le départ des troupes françaises et la volonté clairement exprimée d’imprimer un nouveau modèle, le Sahel est-il sur la bonne voie ? 

Le PIB des pays du Sahel a été multiplié par quatre entre 1990 et 2024 mais la pauvreté ne recule pas dans ces pays.

Si le Niger et le Mali affichent de forts taux de croissance, Bamako navigue ainsi entre 5 et 7% de croissance annuelle. Le calcul est basé sur la valeur de l’or à la vente, mais cet or exporté rapporte peu au Mali. Les chiffres peuvent donc être trompeurs.

Felwine Sarr estime que le trio sahélien est sur le bon chemin. ”Ils ont entrepris de renégocier des contrats afin d’obtenir des rémunérations dignes et justes. C’est une étape importante, c’est ce qu’il faut faire. Investir dans la production locale, c’est aussi ce qu’il faut faire, substituer les importations par de la production locale. Vont-ils y arriver ? C’est difficile à dire car cela va dépendre de la situation sécuritaire, des investisseurs et du contexte international”.

Le Niger a ainsi imposé une renégociation de ses contrats miniers, le Burkina Faso travaille à développer les outils de production et a construit sa première usine de transformation de la tomate à Bobo-Dioulasso inaugurée en novembre 2024. Ouagadougou a également fait sensation en présentant un blindé léger made in Burkina, l’aboutissement de 24 mois de travail ont annoncé fièrement les autorités. Le Niger, pays voisin s’est également lancé dans la production de blindés légers. 

Et si les trois pays en question ont créé l’Alliance des pays du Sahel (2023) pour assurer ensemble leur sécurité, accélérer leur intégration économique avec l’harmonisation des droits de douane, ou encore la libre circulation des personnes, ils viennent aussi de créer une banque régionale en mai 2025. Dotée d’un capital initial de 500 milliards de francs CFA, cet organisme vise à financer les infrastructures critiques et à soutenir l’industrialisation locale, il doit permettre de financer le développement local de ces trois pays.

La sécurité lié au terrorisme reste un point noir. Elle pourrait contrecarrer certains projets économiques. Ainsi, la Belgique et le Luxembourg annonçaient envisager l’arrêt d’ici fin 2025 de leurs programmes de développement au Sahel à cause de l’insécurité. Les routes du Sahel ont été baptisées “les routes de la peur”, car les attaques sur les camions et leurs chargements se multiplient.

Le Sahel peut-il faire école ?

Felwine Sarr croit, lui, en l’Afrique. “Les ressources sont là, la volonté décoloniale en économie est là, l’Afrique va être une puissance économique, mais à long terme. Il faut éduquer la jeunesse et, étonnamment, le manque d’industrialisation peut être une opportunité pour être un laboratoire pour une économie verte”. 

Le professeur sénégalais cite le Maroc, l’Ethiopie, le Kenya, le Sénégal, le Bostwana qui se sont engagés dans cette décolonisation de leur économie avec succès.

Al Kitenge espère, lui, que le Sahel fasse école et initie un changement de modèle économique en Afrique. Il n’attend pas une grande révolution économique au Sahel : “il faut être honnête. C'est d’abord une grande démarche de décolonisation politique et géopolitique. Il est important que leur stratégie montre des résultats rapides pour inspirer de manière intelligente les pays voisins”. Idéalement, il faut que le Sahel fasse des émules pour accélérer cette décolonisation, insiste-t-il. “Il faut atteindre une masse critique et donc embarquer tous les pays africains dans cette démarche”, conclut-il.

SOURCE:TRT Français
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