Le premier constat de ces deux études est le suivant: la France dépense 180 milliards d’euros en 2022 pour son école primaire et secondaire mais les performances des élèves se dégradent d’année en année surtout en mathématiques.
Autre marqueur négatif, les inégalités sociales sont plus marquées en France que chez nos voisins européens. Et pourtant, l’Education nationale est le premier employeur du pays avec 850 000 enseignants pour 12 millions d’élèves. Plus encore, la France dépense davantage par élève que ses voisins de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).
Les deux rapports énumèrent des pistes pour améliorer l’apprentissage des élèves : réduire le nombre d’élèves par classe, généraliser le dédoublement des classes comme c’est le cas actuellement pour les classes de CP et de CE1 en zone prioritaire, mieux former les professeurs, développer le tutorat entre élèves.
Youssef Souidi, docteur en sciences économiques et auteur de "Vers la sécession scolaire ? Mécaniques de la ségrégation au collège" (Fayard, 2024) estime qu’augmenter la mixité sociale reste l’un des leviers majeurs même s’il n’est pas le seul pour porter les élèves vers de meilleurs résultats.
“Plus on impose la mixité sociale tôt, plus elle porte ses fruits. Les effets sont positifs pour les élèves les plus faibles et les plus défavorisés en termes de résultats scolaires. Et cela permet aussi de modifier les préjugés raciaux ou sociaux que les élèves portent sur les autres.”
Le chercheur pointe du doigt des situations caricaturales dans certaines villes ou quartiers où des écoles distantes de quelques mètres ont des compositions sociales diamétralement différentes. Ainsi Mulhouse, ville du sud de l’Alsace, compte les collèges les plus défavorisés à l’échelle nationale et elle compte dans le même temps des écoles privées aux bons résultats.
Cette différence oppose généralement enseignement privé sélectif et établissements publics qui accueillent tous les élèves sans distinction. Dans les faits, il y a une ségrégation sociale, entre élèves avec des familles aisées et des élèves avec des familles pauvres.
Cette “ségrégation scolaire” concentre fortement les élèves dans certains établissements selon leur classe sociale, la carte scolaire concentrant les élèves des quartiers difficiles justement dans ces quartiers difficiles.
“Cela s'accompagne en plus parfois d’une ségrégation ethnique, pour le dire crûment, une école avec les élèves blancs et une école avec les élèves non blancs“, explique le chercheur.
Selon une étude de 2018 à laquelle Youssef Souidi a participé, le choix des familles amplifie le phénomène en regroupant les élèves de milieux aisés dans des établissements différents : ce qu'on appelle la stratégie d’évitement.
La mixité sociale est “évitée” par des stratégies familiales, “c’est un évitement par les familles plus aisées qu’elles perçoivent comme protecteur”. C’est ainsi que le système scolaire français réplique d’année en année une forme de ségrégation sociale et que l’école ne permet plus d’effacer les disparités sociales.
Le phénomène est encore accentué par les réticences du corps enseignant. “Ce qu’on voit à travers les études, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en France, les professeurs refusent ou rechignent à aller enseigner dans les établissements qui concentrent une population avec des difficultés sociales. Et quand ils y sont, ils essaient d’en partir le plus vite possible. L’Académie de Créteil ou de Versailles n’arrive plus à recruter des enseignants. Elles ont moins de candidats que de postes disponibles”.

Comment obtenir la mixité sociale ?
“L’une des missions de l’école c’est d’apprendre à lire, à écrire, etc… mais c’est aussi c’est aussi apprendre à devenir un citoyen”.
Youssef Souidi insiste sur le fait que cette situation donne à comprendre la société comme une société scindée en deux puisque dès leur plus jeune âge, ces enfants apprennent à vivre séparés des autres. “L’incarnation de la République, Liberté Egalité Fraternité qu’on voit inscrite au fronton de l’école n’est pas ce qu’ils vivent. Comment voulez-vous qu’ensuite ces enfants se disent qu’ils appartiennent à la même société ?”, s’interroge le docteur en sciences économiques.
Une solution est expérimentée à Paris. Les collèges parisiens connaissent, en effet, des niveaux de ségrégation sociale parmi les plus élevés de France, du fait de l'ampleur des contrastes sociaux qui opposent des quartiers proches géographiquement (ségrégation résidentielle).
Le Conseil de Paris a voté au mois de janvier 2017 la création de trois secteurs bi-collèges dans les 18e et 19e arrondissements. Ce dispositif consiste à mettre en place des secteurs communs à plusieurs collèges afin de diversifier leur recrutement social. Le bilan provisoire fait en 2018 par une équipe de l’Institut des politiques publiques, dont Youssef Souidi, conclut que deux des trois secteurs ont atteint leur objectif de mixité sociale et ont entraîné une diminution de l'évitement vers le secteur privé.

Mettre à contribution les écoles privées
De nombreux chercheurs, Youssef Souidi compris, estiment que la solution passe par les écoles privées. La plupart d’entre elles bénéficient d’aides publiques de la part du département ou de l’Etat, pour l’entretien de leurs bâtiments et pour le salaire de leurs professeurs. Il faut donc leur imposer d’accueillir plus d’élèves de familles défavorisées.
L’ancien ministre de l’Education nationale Pap Ndiaye, ministre 14 mois à partir de mai 2022, a essayé d’imposer cette solution pour plus de mixité sociale. Mais il est resté très peu de temps en poste et le président du Sénat, Gérard Larcher, s’opposait fermement à cette idée. La droite française défend traditionnellement ce qu’elle appelle la liberté de l’enseignement.
Le ministre avait pourtant érigé en projet phare de son ministère ce plan de mixité sociale. Il avait trouvé un accord avec l’enseignement catholique. Le Secrétariat général de l’enseignement catholique (SGEC) s’engageait à augmenter de 50% en cinq ans le nombre d’établissements proposant des contributions familiales modulées en fonction des revenus et à doubler le taux d’élèves boursiers en cinq ans, dans les établissements où les familles bénéficient d’aides sociales. L’égalité des chances et la réussite des élèves passent par “l’implantation de filières d’excellence dans l’éducation prioritaire et par le renforcement de la mixité scolaire”, expliquait Pap Ndiaye.
Depuis, cette question est restée en déshérence auprès des différents ministres de l’Education nationale.