La société israélienne est profondément divisée en raison de la guerre menée contre Gaza par le gouvernement Netanyahu depuis octobre 2023. Cette guerre a provoqué un effondrement institutionnel, politique et économique.
Israël traverse une crise avec le départ de citoyens, une économie en grande difficulté et une pénurie de médecins. La sociologue souligne que Netanyahu a exploité les émotions des Israéliens pour faire croire que “seule ‘l'éradication du Hamas’ était une priorité”.
"Beaucoup d’Israéliens aujourd’hui sont convaincus que la guerre a été instrumentalisée par la coalition au pouvoir pour ne pas discuter la paix", a-t-elle soutenu.
Mercredi 19 mars, des manifestants se sont rassemblés devant le Parlement et près de la résidence du Premier ministre à Jérusalem pour dénoncer la reprise de la guerre à Gaza, et pour critiquer le limogeage de Ronen Bar, le chef du renseignement intérieur. De nombreux manifestants accusent Netanyahu de prioriser sa survie politique à la survie des otages.
TRT Global - “Il faut le dire haut et fort : c'est un mensonge. C'est Israël, et non le Hamas, qui a violé l'accord”, affirme le journal Haaretz.
La "likoudisation" des esprits en Israël
"La fin de la guerre, c’est la fin de Netanyahu, et la fin de Netanyahu, c’est la fin de la guerre", mais cette équation est bloquée pour l’instant”, a résumé Sylvaine Bulle.
Sylvaine Bulle qui a écrit “Sociologie du conflit” (Armand Colin, 2021) tient à revenir sur les changements qui ont mené à la situation actuelle. "Le likoud est au pouvoir depuis 15 ans et depuis 10 ans, il y a un discours politique pour exacerber le nationalisme plutôt que le patriotisme, et pour promouvoir le nationalisme exclusif, c’est-à-dire qui ne prend aucun soin du nationalisme inclusif. La coexistence pacifique, démocratique avec les Palestiniens israéliens a été effacée du discours politique".
Ceci a un prix, "l’affaiblissement de la démocratie en Israël", analyse la sociologue. Ainsi, les universitaires israéliens ne peuvent plus critiquer la stratégie actuelle. "Être un bon israélien aujourd’hui, c’est être un "juif de la force" c’est-à-dire militarisé, très patriote et mettant en avant les Juifs".
Entre le 7 octobre 2023 et mars 2024, plus de 400 Arabes Israéliens ont été arrêtés pour avoir soutenu la cause palestinienne, parfois pour un simple message sur les réseaux sociaux, selon l’ONG Adalah. Parmi eux des chanteurs, des étudiants et des humoristes. Toute critique est considérée comme anti-patriotique, la liberté d’expression dans ce contexte se réduit.
Le Parlement israélien a adopté le 21 janvier 2025 une loi criminalisant tout propos qui nie les “massacres” du 7 octobre 2023 selon la version israélienne, mais le lendemain cette même Knesset a refusé la création d’une commission d’enquête sur ces mêmes événements.
Les messianistes, un danger pour la démocratie en Israël
Si le champ démocratique se restreint pour les Israéliens, la sociologue identifie un autre danger: les mouvements messianiques désormais libres d’agir en Cisjordanie occupée. Après le 7 octobre 2023, les ministres d’extrême droite ont permis l’armement des colons et favorisé la multiplication des colonies illégales.
"Ce sera soit le messianisme, soit la démocratie en Israël ! Ce ne sera pas les deux.", met en garde Sylvaine Bulle qui nuance que le choix se pose entre le messianisme religieux et la démocratie, l’un et l’autre étant plus ou moins incompatibles. Il y a cinq ans, l’électorat messianique juif représentait 1%, "mais en cinq années, ils ont pris une grande importance dans la société civile et surtout, ils sont relayés par des rabbins ou des partis politiques," poursuit la sociologue.
Le parti ultra-nationaliste Otzma Yehudit fait d’ailleurs partie de la commission créée le 18 juin 2024 à la Knesset pour relancer des implantations dans la bande de Gaza.
Ainsi, Daniella Weiss, dirigeante de Nachala, une organisation de colons juifs ultraconservateurs qui multiplie les colonies illégales, est devenue au fil des mois un visage reconnu par les Israéliens. Elle apparaît d’ailleurs dans le documentaire de TRT World, intitulé "Holy redemption", car son organisation rêve de recoloniser Gaza.
La sociologue qui a écrit également “Sociologie de Jérusalem” (2020), souligne également une sorte d’alliance entre les évangélistes américains et ces messianismes juifs. Cette alliance est une alliance contre les libéraux et une alliance qui partage un projet, le déplacement des Palestiniens.
"Donald Trump est le vrai patron d’Israël !"
"Donald Trump est le vrai patron d’Israël !", Sylvaine Bulle évoque ainsi l’influence directe de Donald Trump qui aide ces mouvements évangélistes américains et qui sont de ses plus fervents électeurs depuis son retour à la Maison blanche en janvier 2025.
Elle assure que le projet de Donald Trump pour le Proche-Orient est imprégné et influencé par les évangélistes américains. "Il y a 15 ans à Gaza, il y avait déjà des messianiques américains. L’idée de Donald Trump, selon moi, c’est d’installer ces groupes juifs et chrétiens à Gaza. Le projet de Riviera, c’est du gadget mais le vrai projet c’est de construire des logements pour installer ces gens à Gaza". La sociologue souligne que 10 000 messianistes sont postés à Sderot au sud d’Israël pour entrer à Gaza dans un futur proche.
L’administration Trump, passée et nouvelle, est noyautée par les sionistes chrétiens (des mouvements évangéliques pro-israéliens) qui depuis le XIXème siècle défendent cette idée de déplacer les Palestiniens vers les pays arabes voisins. Pour ces groupes religieux, il y a une nécessaire séparation entre juifs et musulmans. C’est à leurs yeux la seule voie vers la paix. Ces chrétiens ultra-conservateurs tirent leur conclusion de la tradition biblique à propos de l’inimitié entre Jacob et Esaü et qui a rendu leur vie ensemble sur la terre de Canaan impossible.
Les sionistes chrétiens américains à la manoeuvre
"Ces évangélistes américains sont des électeurs de Trump, ils sont très présents dans le gouvernement ou dans l’administration du nouveau président américain." Lors de son premier mandat, c’est déjà pour satisfaire ces conservateurs évangéliques et sionistes chrétiens qu’il a reconnu la souveraineté d’Israël sur le Golan et qu’il a décidé de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem.
Ils défendent bec et ongles le retour des Juifs en Palestine, qui selon eux permettra aussi le retour des chrétiens dans la région. Ils ont propagé petit à petit dans le parti Républicain américain une ligne ultra-sioniste.
En janvier 2025, Donald Trump a nommé comme ambassadeur américain en Israël Mike Huckabee, ancien gouverneur républicain de l’Arkansas et pasteur américain évangéliste et sioniste chrétien.
Celui-ci a multiplié les propos niant l’existence de la Palestine ou des Palestiniens. En 2017, en Israël dans la colonie de Ma’ale adumim, il avait déclaré: "Il n'y a de chose qui s'appelle la Cisjordanie, c'est la Judée et la Samarie. Il y a certains mots que je refuse d'employer. Les colonies n'existent pas, ce sont des communautés, des quartiers, des villes. L'occupation n'existe pas".