FRANCE
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France : un rapport "délirant" sur les musulmans, selon le sociologue Raphaël Liogier
Le ministre de l’Intérieur a présenté mercredi un rapport sur l’influence présumée de ce qu’il appelle les "Frères Musulmans" en France, une démarche qui suscite des interrogations. Analyse avec Raphaël Liogier, sociologue et philosophe.
France : un rapport "délirant" sur les musulmans, selon le sociologue Raphaël Liogier
Mosquée de paris / TRT Français
21 mai 2025

Le rapport de 73 pages, présenté en Conseil de défense ce mercredi, interroge sur les raisons de sa publication, notamment en l’absence d’explications claires des autorités. Son contenu ne présente guère d'éléments nouveaux. Il compile des accusations déjà maintes fois avancées par les autorités françaises. Rédigé par un ambassadeur et un préfet, le document désigne l’association Musulmans de France comme principale émanation des "Frères Musulmans" en France — une accusation que l’association refuse. 

Selon Raphaël Liogier, l’ensemble du rapport repose sur un prérequis idéologique : l’"entrisme", c’est-à-dire l’idée que des acteurs musulmans infiltreraient discrètement les institutions. Une thèse qui n’a, selon lui, rien de scientifique. Ce que les auteurs du rapport qualifient ainsi relève en réalité du simple constat que la communauté musulmane aspire, comme d’autres avant elle, à disposer de ses propres mosquées et établissements scolaires. 

Les écoles, l’outil préféré des Frères Musulmans selon le rapport

Les deux auteurs pointent du doigt l’école Al Kindi, située près de Lyon, à Décines, qui serait le fer de lance de cette stratégie "frériste" dans la région. Ils affirment que cet établissement, qui scolarise 608 élèves, "constitue avec la mosquée de Villeurbanne l’une des fondations principales de la mouvance frériste du Rhône". Le contrat d’association entre l’école et le ministère de l’Éducation a été annulé par la préfecture du Rhône en janvier dernier.

"Faire partie d’associations, développer des écoles, c’est plutôt un signe d’intégration, si on a une vision positive", répond Raphaël Liogier.
L’universitaire dénonce un biais de confirmation dans le rapport, qu’il décrit comme un document destiné à confirmer des préjugés et non apporter un vrai travail de recherche.

Raphaël Liogier a lu ce rapport, il n’y voit aucune preuve de quoi que ce soit. "C’est un salmigondis d’affirmations", déplore-t-il. On y retrouve, comme à chaque fois que l’État vise un organisme musulman, le nom des Frères musulmans, leur idéologie, des citations d’Hassan al-Banna, le fondateur, qui datent des années 1930. Les auteurs n’ont pas pris en compte que tout cela a un siècle, que les Frères musulmans ont évolué et qu’ils n’ont rien de littéralistes ni avec le Coran ni avec al-Banna souligne t-il.

"C’est un rapport délirant"

"Le rapport à l’Islam en France est désormais du domaine psychiatrique et plus de la recherche. On ne peut plus débattre. On est dans le délire obsessionnel, c’est-à-dire qu’on interprète tout dans le sens de nos fantasmes", s’indigne le sociologue français. 

Il accuse les autorités françaises de confondre et de mettre dans le même chapeau niqab, hijab, tchador, et d’invoquer la charia comme si s’agissait d’un concept gravé dans le marbre. "Tout cela pour nourrir le populisme", analyse Raphaël Liogier. "C’est complètement délirant", avance-t-il, ajoutant d’autres exemples, comme l’idée que les Frères musulmans dirigeraient une société secrète et qu’ils comploteraient tout en prétendant s’intégrer.

Il compare Cette rhétorique à celle utilisée contre la communauté juive dans les années 30. Ainsi, le journal le Figaro, a écrit que ce rapport démontre une véritable mécanique "frériste", adoptant divers modes d’action : "réislamisation, séparatisme et parfois subversion", visant à déstabiliser la République, reprenant ainsi les accents d’avant-guerre.

Le sentiment d’une islamophobie d’État

Mais le sociologue Raphaël Liogier insiste sur la mise en scène politique qui entoure la publication du rapport. Il note qu’elle s’est accompagnée de déclarations alarmistes du ministre de l’Intérieur, affirmant que la République serait menacée. Bruno Retailleau se présente comme le sauveur de la République, tout en jouant les Cassandre sur un ton catastrophiste : "l’objectif ultime est de faire basculer toute la société française dans la charia", a mis en garde le ministre devant la presse mardi.

Toute la société française ? Le thème de la culture européenne en danger est un vieux marqueur de l’extrême droite. Raphaël Liogier fait le parallèle avec son étude des populismes : "Dans le populisme, il y a le faux peuple — ici ce sont les musulmans — et le vrai peuple — ici, les catholiques, "les vrais Français", entourés, menacés. Et face à eux, il y a les héros qui vont sauver le vrai peuple."

"En mélangeant tout comme ils le font, ce rapport met en cause tous les musulmans, on crée une suspicion sur tous les musulmans", regrette-t-il.

Le rapport souligne aussi le sentiment profond, au sein de la communauté musulmane française, qu’il existe une islamophobie d’État. Les suggestions des auteurs pour y remédier sont : encourager l’apprentissage de l’arabe dans les écoles publiques, mieux répondre aux aspirations de la communauté musulmane et reconnaître la Palestine. 




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