Les signes sont là mais ils sont discrets. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche marque le retour en force de la philosophie évangélique dans les affaires américaines.
Donald Trump est, d’ailleurs, entouré à Washington par des pasteurs protestants extrémistes comme Paula White Caïn, sa conseillère spirituelle et cheffe du bureau de la Foi, ou Pete Hegseth. Le secrétaire d'État à la Défense est aussi très proche de ces milieux religieux.
Ce n’est donc pas un hasard si dès son arrivée au pouvoir, le président américain a nommé Mike Huckabee au poste d’ambassadeur des Etats-Unis en Israël. Ancien gouverneur de l'Arkansas et pasteur influent, il incarne l’aile dure des évangéliques américains. Fer de lance de ce courant, il refuse par exemple d’utiliser le terme “Cisjordanie”, lui préférant les appellations bibliques de “Judée” et “Samarie”.
André Gagné, professeur de théologie à l’Université Concordia à Montréal insiste sur l’importance de cette personnalité : “Il est persuadé que pour que les Etats-Unis soient prospères, il faut qu’ils soutiennent Israël. L’homme a une vision du monde purement théologique et Israël est au cœur du plan religieux d’Huckabee”. Mike Huckabee nie l’existence du peuple palestinien, estimant que cela est une création du XXème siècle.
Cet homme est aujourd’hui en mesure d’influencer en profondeur la politique américaine au Proche-Orient. Le chercheur canadien estime d’ailleurs qu’il n’y aurait pas eu, ces derniers jours, la décision d’accélérer le développement de colonies pour couper la Cisjordanie occupée en deux, ni l’annonce d’une opération militaire visant à prendre le contrôle de Gaza, si Huckabee n’occupait pas le poste d’ambassadeur en Israël.
Ce plan religieux est également celui de Johnnie Moore, pasteur et proche de Donald Trump. Il a été nommé le 3 juin à la tête de la Fondation humanitaire pour Gaza, co-créée par Washington et Tel Aviv pour distribuer de l’aide alimentaire aux Gazaouis affamés. Cette fondation, créée par Israël et les États-Unis pour se substituer au dispositif de distribution de l’ONU, ne prévoit que quatre centres de distribution, contre près de 400 points auparavant.
Face aux critiques visant sa fondation après la mort de plus d’un millier de civils venus chercher de l’aide dans l’un des quatre centres de distribution, il balaie les accusations en parlant de “désinformation” et rejette la responsabilité sur le Hamas — malgré les preuves accablantes recueillies par des journalistes, qui montrent des soldats israéliens ou des agents de sécurité privés ouvrant le feu sur la foule.
Comme tous les évangéliques, le révérend Johnnie Moore est un ardent défenseur d’Israël. Depuis sa prise de fonction, il répète sans discontinuité le narratif du gouvernement israélien, l’aide alimentaire était contrôlée par le Hamas, assure-t-il et dans une interview le 25 juillet avec l’Institut Hudson. Il va même jusqu’à prétendre que la moitié des employés de l’UNRWA appartenaient Hamas.
Le retour du Christ en toile de fond
Les évangéliques soutiennent Israël envers et contre tous pour des raisons bibliques. Ainsi fin octobre 2023, 90 pasteurs évangéliques ont publié un soutien à Israël indiquant que la guerre était une guerre “juste”. Certains défendent même la mort des enfants palestiniens.
Quel scénario se joue en Palestine aujourd’hui avec ces deux hommes de foi ? Les pasteurs évangéliques sont persuadés qu’Israël doit prendre le contrôle de toute la Palestine pour permettre le retour du Christ sur terre.

Les évangéliques lisent en effet le livre de l’Apocalypse de manière littérale.
André Gagné revient sur ce scénario eschatologique. “C’est une interprétation littérale du texte, une interprétation particulière de la Bible. Il y a cette idée que les bons chrétiens vont être ‘enlevés” par Dieu, ce qui va lancer le scénario de la fin du monde”.
Un Antéchrist, une grande tribulation des peuples et une bataille sanglante à Armageddon marquera la fin du monde, et ensuite Jésus reviendra sur terre pour diriger le monde depuis le Mont du Temple à Jérusalem. Dans cette interprétation, la guerre est une nécessité qui va amener la suprématie des Chrétiens sur le monde considérant que les Juifs vont se convertir en masse (cf. Le livre de l’Apocalypse, dernier livre du Nouveau Testament).
Pour ces évangéliques américains, Gaza comme la Cisjordanie occupée relèvent sans conteste d’Israël. À leurs yeux, les débats sur le droit international, l’occupation ou la colonisation sont dénués de sens. Ils militent activement au Congrès en faveur d’un “État juif” sans État palestinien, rejetant toute perspective de solution à deux États. Ils défendent la colonisation au nom de la conviction que la terre de Palestine appartient au peuple juif.
Si cette lecture littérale peut prêter à sourire, elle n’en demeure pas moins préoccupante. “Ces pasteurs ont l’oreille du président américain. Ils constituent aujourd’hui le lobby le plus puissant aux États-Unis. On peut dire que la politique américaine est directement influencée par cette vision théologique. Leur poids au Congrès est considérable et leur objectif est clair : assurer la domination de la religion chrétienne. C’est inquiétant, d’autant qu’il s’agit des États-Unis, une puissance mondiale”, s’inquiète André Gagné.
Le professeur canadien rappelle que 85% de ces protestants évangéliques ont voté pour Donald Trump en 2024.
En 25 ans, un homme a réussi à ériger cette croyance en stratégie et diplomatie américaines à force d’avancer ses pions au sein du parti Républicain. Le pasteur texan, John Hagee, a développé le “sionisme chrétien”. Il a créé un lobby qui compte pas moins de dix millions de membres, les Chrétiens Unis pour Israël (CUFI) et son projet se résume en une simple phrase : “Nous aimons Israël parce que Dieu aime Israël”.
Des évangéliques très actifs en Israël
Depuis le 7 octobre 2023, des évangéliques du monde entier viennent en Israël aider bénévolement les entreprises en difficulté ou les kibboutz qui manquent de main d'œuvre. Nous sommes toujours dans cette logique qu’il faut aider Israël par tous les moyens.
Le mouvement a même une “ambassade” en Israël, “l’ambassade chrétienne internationale de Jérusalem”. En juin 2025, l’ambassade organise la venue de milliers de chrétiens américains pour la fête des cabanes. Cela se termine par une messe et un discours vidéo du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu.
Cette ambassade a été créée principalement pour lever des fonds aux Etats-Unis pour Israël, elle verse 25 millions de dollars en moyenne chaque année au gouvernement israélien et finance même l’installation de familles juives du monde entier.
Ce soutien sans limite à Israël a ses racines dans une forme non assumée de racisme, estime le pasteur palestinien Munther Isaac, directeur de l’institut pour la paix et la justice de Bethléem. Il vient de publier “Le Christ dans les décombres : la foi, la Bible et le génocide à Gaza” (Eerdmans, 2025). Dans cet ouvrage, il dénonce la complicité des Eglises occidentales face au génocide des Palestiniens qui, selon lui, a ses racines dans une culture coloniale encore vivante en Occident.
“Comment peut-on expliquer que le monde regarde depuis plus de vingt mois un génocide sans broncher ? Les responsables religieux ont condamné très durement les attaques du 7 octobre 2023 mais aucun n’a condamné les actions d’Israël en des termes aussi durs”, dénonce le pasteur palestinien dans le podcast Madang.
Ce génocide a commencé quand la Palestine a été décrite en 1948 comme “une terre sans peuple” conclut-il. (Le révérend écossais, Alexander Keith a utilisé cette expression en 1843 pour défendre l’idée d’implantations juives en Palestine).