Dans les années 1970, au croisement des bouleversements énergétiques mondiaux et des tensions géopolitiques au Moyen Orient, une guerre invisible se joue entre Israël, la France et l’Irak.
Elle se livre dans les hangars du sud de la France, dans les chambres d’hôtels parisiens et, finalement, dans le ciel de Bagdad. Au cœur de cette lutte se trouve le programme nucléaire irakien “Osirak”, soutenu par Paris mais inacceptable pour Tel-Aviv qui veut maintenir son monopole nucléaire dans la région.
C’est alors que l’Etat hébreu engage le Mossad dans une série d’opérations clandestines et meurtrières, jusque sur le sol français.

Explosions à La Seyne-sur-Mer
Après les chocs pétroliers des années 1970, la France cherche à renforcer ses liens avec le monde arabe. Ce virage diplomatique s’illustre notamment par un accord de coopération nucléaire signé le 18 novembre 1975 avec l’Irak de Saddam Hussein.
L’accord prévoit la livraison d’un réacteur de recherche, Osirak, ainsi que la formation de 600 ingénieurs irakiens. C’est Jacques Chirac, alors Premier ministre, qui initie ce rapprochement avec le régime de Saddam Hussein.
Cette collaboration inquiète profondément Israël pour qui toute perspective d’une bombe arabe représente une menace existentielle. Même si ce projet franco-irakien est officiellement engagé à des fins pacifiques, Tel-Aviv soupçonne Bagdad de visées militaires à moyen terme.

Deux cuves de réacteurs commandées par l’Irak sont alors fabriquées et stockées par la France à La Seyne-sur-Mer, prêtes à être expédiées, avec 65 kilos d’uranium enrichi.
Or, le 5 avril 1979, dans le port de La Seyne-sur-Mer, un groupe d’agents infiltrés, se faisant passer pour des touristes, pénètre en toute discrétion dans l’entrepôt où sont stockées les cuves et placent des charges explosives sur les éléments sensibles du réacteur.
L’explosion retarde considérablement l’acheminement du matériel. Ce sabotage marque le début d’une campagne secrète de neutralisation du programme irakien.
Assassinat en plein Paris
L’année suivante, dans la nuit du 13 au 14 juin 1980, Yahya al-Meshad, un scientifique égyptien travaillant pour le programme irakien, est retrouvé mort dans sa chambre à l’hôtel Méridien à Paris.
L’homme devait récupérer du matériel livré par la France. Les services français soupçonnent une exécution ciblée. Là encore, la signature du Mossad est évoquée, mais sans preuve officielle à l’époque.
Mais les sabotages israéliens ne s'arrêtent pas là. Parallèlement, les services du Mossad réussissent à infiltrer un ingénieur français du Commissariat à l’énergie atomique. Celui-ci livre des plans détaillés du site d’Osirak à Bagdad, indispensables pour une éventuelle frappe aérienne de précision.
Un Français tué
Le réacteur irakien devait atteindre son stade critique en septembre 1981. L’état-major israélien décide donc de passer à l’action.
Une attaque est initialement prévue pour le 10 mai 1981, jour de l’élection présidentielle française, mais elle est repoussée à la demande de Shimon Peres, soucieux de ne pas gêner François Mitterrand avec lequel il entretient de bons rapports.
Finalement, le 7 juin 1981, huit F-16 israéliens escortés de six F-15 décollent de la base du Sinaï. En quelques minutes, ils survolent la Jordanie et frappent le réacteur Osirak à Bagdad.
La coupole de béton est détruite, le réacteur anéanti et un technicien français, Damien Chaussepied, un ingénieur de 25 ans présent sur le site, est tué dans l’attaque avec 10 autres Irakiens.
Cette opération, baptisée "Opéra", est condamnée à l’époque par la communauté internationale, mais elle sonnera finalement le glas du projet franco-irakien Osirak.
À la lumière des tensions récentes entre Israël et l’Iran, notamment les frappes israéliennes contre les installations nucléaires iraniennes de Ispahan ou Natanz, l’affaire Osirak rappelle que plus de quarante ans après le bombardement du réacteur irakien, Israël poursuit la même doctrine.
Sabotages, assassinats de scientifiques, cyberattaques, bombardements jusque dans les capitales européennes pour empêcher toute autre puissance du Moyen-Orient d'accéder à l’arme nucléaire. Les méthodes ont évolué, mais la logique reste inchangée.
Cette logique est d’autant plus controversée que, dans un silence soigneusement entretenu, Israël possède bel et bien des armes nucléaires, estimées à environ 80 têtes.